Free the Moon



Il y a dans ce projet, #freethemoon, quelque chose qui me dérange profondément.
Sur sa vidéo de présentation, une jeune étudiante allemande expose son projet de monter une expédition vers la Lune afin d'y ôter les 6 drapeaux américains qui l'ornent suite aux diverses missions Apollo.
Musique douce et mise en scène rêveuse de sa fragilité de jeune étudiante idéaliste et esseulée viennent ici s'opposer à la débauche de moyens industriels mis en oeuvre lors des missions Apollo.
Accolée à la vidéo, la description précise de la répartition des fonds qu'elle espère récolter (10 milliards d'euros) et une phrase où elle nous explique savoir que sa requête tient de l'utopie, mais pas de l'impossible tissent la fiction du réel.
Puis la musique se fait plus épique, parodiant ainsi les nombreux films hollywoodiens qui ont forgés notre imaginaire quant à la conquête spatiale.
À cette récupération parfaitement maîtrisée des codes hollywoodiens en vigueur, s'ajoute une multitude d'éléments qui viennent polir ce joli projet : page facebook, hashtag twitter, interview (en fait une F.A.Q.) accompagnée d'une illustration où l'étudiante pose solitaire mais déterminée dans son costume de spationaute.
À toute autre époque que la nôtre, le donquichottisme qu'on pourrait prêter à cette entreprise s'évanouirait devant tant de professionnalisme. Las, le post-modernisme nous a trop habitué à ce grand écart constant entre apparence et intention, détendant à jamais en nous ce ressort qui eût pu nous faire bondir.
Ce projet fait finalement écho aux destructions des statues de Bouddha en Afghanistan. Il y a la même volonté de faire disparaître les traces d'une culture aux valeurs opposées (même si l'opposition tient plus ici de l'auto-conviction, d'un désir inassouvi d'être différent, d'un universalisme bon teint qu'on retrouve dans les publicités Nike ou Levis). Mollement démentie par une question, faussement concernée, sur le sort réservé aux drapeaux et sa réponse qui nous assure de leur restitution.
La violence de la proposition est désamorcée à l'aide d'une communication brillante mais creuse, un cynisme presque inconscient maquillé en innocente rêverie.

Aussi je préfère me replonger dans mes souvenirs de ce film, L'Étoffe des Héros par Philip Kaufman, où Sam Shepard incarnait un Chuck Yeager acculé jusqu'à la mort par une soif épique et désespérée de liberté. Une liberté déjà évaporée dans l'Amérique toute puissante de l'après seconde guerre mondiale, désormais accessible du seul cockpit de son Bell X-1, cachée derrière un mur.