John Boorman - 3. Zardoz

I am Arthur Frayn, and I am Zardoz. I have lived three hundred years, and I long to die. But death is no longer possible. I am immortal. I present now my story, full of mystery and intrigue - rich in irony, and most satirical. It is set deep in a possible future, so none of these events have yet occurred, but they may. Be warned, lest you end as I. In this tale, I am a fake god by occupation - and a magician, by inclination. Merlin is my hero! I am the puppet master. I manipulate many of the characters and events you will see. But I am invented, too, for your entertainment - and amusement. And you, poor creatures, who conjured you out of the clay? Is God in show business too?
La scène d'introduction de Zardoz, le monologue d'Arthur Frayn, fut ajoutée à la demande des producteurs de la Fox, circonspects devant le film. Elle semble d'abord en bouleverser le sens final en replaçant le personnage d'Arthur Frayn au centre de la scène, lui qui se décrit comme un admirateur de Merlin. Ce monologue tranche aussi avec le reste du film par son traitement, faisant de Frayn un narrateur métadiégétique, prémisse du personnage de Merlin dans Excalibur, qui lui aussi évoluait à cheval sur plusieurs niveaux de la diégèse pour signifier sa place trouble dans le mythe arthurien, entre dieux et humains.
Mais de fait, Arthur Frayn - Zardoz  - n'est pas Merlin. Car même s'il aspire à être un magicien, il n'est au final qu'un prestidigitateur, un illusionniste qui ne trompe que lui même comme le lui rappelle Zed à la fin du film. Un pantin qui s'est rêvé marionnettiste ["I am the puppet master"]. Il est une résurgence du magicien d'Oz, la figure de la désillusion, auquel il emprunte le nom malicieusement maquillé. Qu'il se cache derrière un masque de pierre ou un nom obscurcit, Frayn ne fuit que lui-même, son impuissance, et ne cherche qu'une chose, la mort. C'est ce qui le pousse dans une pulsion destructrice à créer Zed, qui le tuera une première fois dans ce qui est un des multiples faux-semblants du film avant de le délivrer définitivement en détruisant le Tabernacle / cristal.

Zardoz reste, encore aujourd'hui, un film d'abord peu évident. Élaboré à partir d'un rêve de John Boorman, il semble saturé de références hétéroclites, une bouillie confuse qui rend le film peu digeste. S'ajoute à cela un faible budget et une esthétique qui ne réussit jamais à se détacher de celle de son époque, les années 70 et qui confère aujourd'hui au film une patine assez kitsch.
On peut le considérer comme un brouillon de ce qui sera plus tard Excalibur. C'est surtout vrai à travers la thématique du film qui annonce celle de la grande œuvre de Boorman.
Les deux films traitent de l'Ubris qui caractérise l'homme, de son émancipation vis-à-vis de la nature, et surtout de la difficulté de la chose, de ce qu'elle implique comme tiraillements. Ce thème est celui qui guide toute l’œuvre de Boorman, ce lien cassé avec la nature et qui laisse l'homme orphelin, en proie à de perpétuelles névroses nées d'une cicatrice qui ne peut se refermer. Mais ici et comme dans Excalibur, Boorman, inspiré par l’œuvre de Carl Jung, persuadé de la nécessité de transmettre les mythologies qui s'abreuvent des fondations de la psyché humaine [ce que Carl Jung appelle inconscient collectif, la couche la plus profonde, la plus obscure de l'inconscient, constituée d'images archétypales élémentaires], a tenté de donner à son film le souffle baroque et onirique qui habite les contes. La réussite est discutable, mais au-delà, c'est l'ambition qui doit être mise en avant. Ainsi malgré des contraintes budgétaires importantes, transparait une puissance symbolique dans nombre des plans qui composent le film.
The gun is good. The penis is evil. The penis shoots seeds and makes new life to poison the Earth with a plague of men, as it's once was. But the gun shoots death and keep the Earth free of the filth of Brutals. Go forth and kill. Zardoz has spoken.
Dans son essai "Le sacré et le profane", Mircea Eliade cite une chanson abyssine : "Celle qui n'a pas encore engendré, qu'elle engendre, celui qui n'a pas encore tué, qu'il tue!". 
Le faux dieu Zardoz oppose le pénis et l'arme dans le monde des brutes. Le pénis qui donne la vie, l'arme qui donne la mort. On peut déjà discerner dans les ordres qu'il donne à ses troupes, les exterminateurs, la dimension morbide d'Arthur Frayn et des autres éternels.
Le pénis et l'arme représentent à eux deux le cycle de la vie, ils en sont respectivement la composante féminine (la source de vie) et masculine (la source de mort) qui se complètent. Frayn qui en est désormais exclu, régente le cycle de la vie, en sélectionnant les brutes dignes de se reproduire et en fournissant les armes aux exterminateurs. L'image-clé dans l'esprit de Zed est d'ailleurs le viol qu'il perpétue sur une plage, "là où la terre et la mer se rejoigne", à l'union des corps répond la rencontre entre la terre [traditionnellement associée à la figure de la mère ; la terre nourricière], et la mer [souvent associée à la mort, lien avec le monde des morts à travers ses profondeurs, le lieu où le soleil disparaît, meurt, pour ensuite renaître dans le ciel].
Plus que des êtres immortels, les éternels aspirent à être des dieux. Ils règnent sur le reste de l'humanité et pensent pouvoir acquérir la connaissance des secrets de l'univers.
Ils aspirent à vivre dans le Temps sacré, le temps des dieux que définit Eliade ; le temps cyclique de l'éternel recommencement, mais ils pervertissent cette notion.
En somme, pour l'homme religieux des sociétés primitives et archaïques, l'éternelle répétition des gestes exemplaires et l'éternelle rencontre avec le même Temps mythique de l'origine, sanctifié par les dieux, n'impliquent nullement une vision pessimiste de la vie ; bien au contraire, c'est grâce à cet "éternel retour" aux sources du sacré et du réel que l'existence humaine lui paraît sauvée du néant et de la mort.
La perspective change totalement lorsque le sens de la religiosité cosmique s'obscurcit. C'est ce qui se passe dans certaines sociétés plus évoluées, lorsque les élites intellectuelles se détachent progressivement des cadres de la religion traditionnelle. La sanctification périodique du Temps cosmique s'avère alors inutile et insignifiante. Les dieux ne sont plus accessibles à travers les rythmes cosmiques. La signification religieuse de la répétition des gestes exemplaires est perdue. Or, la répétition vidée de son contenue religieux conduit nécessairement à une vision pessimiste de l'existence. Lorsqu'il n'est plus un véhicule pour réintégrer une situation primordiale, et pour retrouver la présence mystérieuse des dieux, lorsqu'il est désacralisé, le Temps cyclique devient terrifiant : il se révèle comme un cercle tournant indéfiniment sur lui-même, se répétant à l'infini.

Mircea Eliade - Le mythe de l’Éternel Retour -1949
A travers les éternels c'est la vanité de notre civilisation moderne que Boorman remet en cause, comme il le fait dans La Forêt d'émeraude, Délivrance, Duel dans le Pacifique ou Excalibur.
C'est la perte du rapport au sacré que dénonce Boorman, ou plutôt l'évolution de ce rapport, son affaiblissement progressif au sein de la société occidentale, comme Nietzsche dans sa formule "Gott ist tot" ou Jung dans Psychologie et Religion.

La société des éternels vit en marge du reste de l'humanité, isolée par un seul champ de force invisible, on pense ici à la notion de Plafond de verre, barrière invisible qui limite la circulation entre les différentes classes sociales.
Les vortex, subdivisions du monde des éternels, semblent être des micro-sociétés idéales, égalitaires, où tout le monde travaille pour le bien-être de la collectivité. Mais rapidement Zed découvre que sous l'utopie de surface se cachent de nombreux dysfonctionnements ; tout d'abord les apathiques, éternels victimes d'une maladie incurable qui les rends léthargiques, puis les dissidents, personnages condamnés à être vieillis jusqu'à la sénilité pour s'être trop écarté de la pensée dominante.
De plus, avec le temps les éternels sont devenus impuissants et ne ressentent plus de désir sexuel [la morphologie de Zed contraste fortement avec l'allure androgyne des éternels]. Ce que l'on croyait être une société harmonieuse où chacun peut s'exprimer au sein d'une conscience collective n'est en réalité qu'une société répressive en totale décomposition. Car les éternels ne sont pas maîtres de leur destin mais sont condamnés à l'immortalité ; leur vie est en effet dirigée par le Tabernacle, un cristal, qui contient leur mémoire et les ressuscite chaque fois que l'un d'eux vient à mourir. Les créateurs de cette société ont volontairement effacé leur mémoire afin de ne jamais savoir où se trouve le cristal.
Ainsi cette société utopique se transforme en une prison qui se délite de l'intérieur, qui se cristallise, qui pourrit lentement. Ceux qui voulaient devenir des dieux se retrouvent figés progressivement, comme les statues des divinités antiques qu'ils ont empilées stérilement dans leur musée désert [les éternels détruiront dans un déchainement de folie toutes les statues et les antiquités entreposées, annonçant ainsi leur propre mort].
Les œuvres d'art et antiquités ont une autre signification, celle de la nécessité de la transmission aux générations futures : abandonnées, c'est toute l'humanité qui stagne sans mémoire [dans une scène ironique, on peut voir Zed trouer par inadvertance un des yeux du portrait du docteur Gachet de Van Gogh].
Boorman nous montre le renouveau de la mémoire, de cette transmission du savoir à travers de magnifiques projections lumineuses sur les visages de  Zed et des éternels qui l'aident [la connaissance comme une illumination]. Transmission amorcée par Frayn lorsqu'il guide Zed vers la bibliothèque abandonnée dans le monde des brutes ; lorsque Zed réalise la supercherie de Zardoz en lisant Le Magicien d'Oz, c'est une prise de conscience, la fin d'un aveuglement qui nous est signifiée.
Quand Zed réussit à détruire le Tabernacle, la société scientiste qu'il dirigeait explose en même temps, s'en suit un déchaînement de sexe, de violences animales et de mort ; tout ce qui a été réfréné, inconsciemment refoulé, resurgit de la plus brutale des manières. Les éternels implorent les exterminateurs de les délivrer en leur donnant la mort.
En cela les éternels sont littéralement des anti-héros, dans le sens où ils s'opposent radicalement à l'archétype du héros qui doit renaître pour s'accomplir. Eux dépérissaient de leurs stériles renaissances (lorsque Zed est capturé peu après son arrivée dans le vortex, on peut apercevoir l'embryon d'Arthur Frayn, renaissant après sa chute du masque de pierre), et c'est dans la mort qu'ils pourront se réaliser.
A l'inverse Zed est avalé par le Tarbenacle qu'il détruira de l'intérieur, d'un coup de feu sur son propre reflet au sein du cristal, mais vêtu comme un exterminateur et portant le masque de Zardoz, scellant définitivement son émancipation nouvelle.
La fin montre le renouveau de la transmission générationnelle en un plan obstinément fixe [il y a une énergie qui transpire de ce plan, comme si Boorman en fixant sa caméra voulait nous contraindre à regarder... c'est un plan impératif] qui nous montre Zed et Consuella avoir un enfant, celui-ci grandit puis s'en va en même temps qu'eux vieillissent, assis face caméra en se tenant la main. Lorsqu'ils arrivent à l'état de squelette, un zoom nous montre une emprunte de main.préhistorique sur la paroi de la grotte qui les abrite. Cette affirmation primitive d'une identité est le véritable message du film ; la croyance que l'humanité n'avance et ne survit que par le lien des générations et les traces qu'elles laissent aux suivantes, comme une lumière qui éclaire leur chemin.
La mémoire platonicienne a perdu son aspect mythique : l'anamnèsis ne ramène plus de l'au-delà le souvenir des vies antérieures. Mais elle conserve, dans ses rapports avec la catégorie du temps et la notion d'âme, une fonction analogue à celle qui était exaltée dans le mythe. Elle ne cherche pas à faire du passé, en tant que tel, un objet de connaissance. Elle ne vise pas à organiser l'expérience temporelle ; elle veut la dépasser. Elle se fait l'instrument d'une lutte contre le temps humain [...] Elle lui oppose la conquête, par l'anamnèsis, d'un savoir susceptible de transformer l'existence humaine en la rattachant à l'ordre cosmique et à l'immuabilité divine. Au moment où s'affirme la préoccupation du salut individuel, l'homme en cherche la voie dans son intégration au tout. Ce qu'il attend de la mémoire, ce n'est pas la conscience de son passé mais le moyen d'échapper au temps et de rejoindre la divinité. 
Jean-Pierre Vernant - Aspects mythiques de la mémoire - Journal de la Psychologie, 1959