Les documentaires scientifiques, à la poursuite de la la fiction

Dans un univers audiovisuel dont la croissance semble exponentielle, autant dans la quantité que dans la variété des genres, le spectateur est aujourd'hui sollicité de manière frénétique : ces dernières années ont vu l'émergence de nombreux nouveaux médias ainsi qu'une mutation accélérée des médias plus anciens, forcés d'évoluer rapidement pour ne pas sombrer dans un anonymat synonyme ici de disparition (dans ce contexte, utiliser un champ lexical darwinien ne semble pas dénué de tout sens).
Citons comme nouveaux médias les jeux-vidéos et internet, qui apportent avec eux une notion alors inédite, celle de l'interactivité.
L'ordinateur personnel ou ses dérivés ont peu à peu pris la place de la télévision ; internet propose à chacun de créer ses propres médias, avec un potentiel de distribution et de diffusion illimité et pour un coût modique.
Les médias classiques que sont la télévision ou le cinéma ont réagis de différentes manières : les téléviseurs et les dvds offrent aujourd'hui une qualité haute-définition, le laps de temps entre l'exploitation en salle et celle sur DVD a été réduite de manière notable et les systèmes de pay per view ont fait leur apparition, la dernière révolution qu'on nous impose, la 3D, envahit peu à peu les salles de cinéma et les salons.
Cette évolution n'affecte pas uniquement les tuyaux mais aussi le contenu : on peut noter l'émergence de la télé réalité ou des séries disposant d'un potentiel artistique propre à concurrencer le cinéma dont le précurseur en la matière est la chaîne câblée américaine HBO.

Face à ces imposantes armées en ordre de bataille, un genre télévisuel comme le documentaire scientifique doit lui aussi produire un effort adaptatif afin de continuer à submerger.
Ce type de documentaire, dont la mission première est la vulgarisation de concepts scientifiques, a dans une certaine mesure, toujours eu une narration ludique ou illustrative afin d'éveiller un spectateur parfois un peu réticent.
Mais dans l'emballement observable en ce moment, le documentaire scientifique semble adopter de plus en plus facilement des codes que l'on croyait il y a encore peu, réservés exclusivement à la fiction.
L'apparition des images de synthèse et surtout leur démocratisation (en terme de budget et de temps de calcul pour un rendu acceptable) ont peut-être été l'un des premiers éléments déclencheurs de ce glissement, ainsi le documentaire Sur La Terre Des Dinosaures produit par la BBC (chaîne qui tient un rôle majeur dans ce domaine) en 1999 semble lorgner directement sur le succès du film de Spielberg, Jurassic Park qui fut un des films de fiction pionniers dans l'utilisation de cette cette technologie.
Dans les deux cas, le choix des dinosaures comme sujet semble résulter avant tout d'une facilité à obtenir un rendu réaliste.
D'autres procédés empruntés à la fiction apparaissent aussi, comme l'abandon de l'habituelle voix off anonyme, remplacée par des narrateurs célèbres, parfois même face caméra lors de séquences introductives ou de transition. Citons Sam Neil (oui, celui de Jurassic Park) dans la série Hyperspace, également produite par la BBC, et qui se propose de nous faire découvrir les merveilles et curiosités de l'univers.
La mise en scène de ces séquences se révèle de plus en plus sophistiquée, comme dans le documentaire sur la mécanique quantique et la théorie des corde Ce qu'Enstein ne savait pas encore, présenté par le physicien vedette Brian Greene.
De manière générale, on constate une dramatisation de plus en plus importante, avec le recours systématique à la musique, levier dramatique essentiel, ou encore le choix de sujets qui font directement échos aux blockcbusters catastrophes hollywoodiens... un nombre conséquent de documentaire s'intéresse aux éruptions volcaniques ou aux météorites et aux conséquences apocalyptiques que la chute de l'une d'entre elles pourrait avoir sur la Terre.
La lecture de certains des titres de la série documentaire Superscience est éloquente : "Les astéroïdes tueurs" ou "La Terre en colère".
Mais l'inspiration dépasse largement le simple cadre du cinéma ainsi la série MythBusters de Discovery Channel met en scène des spécialistes en effets spéciaux censés user de "méthodes scientifiques" afin de démonter des mythes ou rumeurs véhiculés par le cinéma ou internet, cette série singe clairement la narration et les mécanismes qui sont en oeuvre dans les séries à succès sur la police scientifique (Les Experts, NCIS, ...).
On assiste ainsi à la fusion inévitable entre documentaire et fiction : le docu-fiction qui mélange les spécificités de chaque genre : en 2004 la BBC produit notamment Space Odyssey : Voyage To The Planets, qui raconte l'exploration de différentes planètes de notre système solaire par un vaisseau spatial avec à son bord cinq astronautes.
L'aspect "fictionnel" est des plus appuyés, avec par exemple la mort d'un des membres de l'équipage d'un cancer provoqué par les radiations solaires au cours du voyage.
Le personnage s'interdit toute chimiothérapie afin de ne pas contaminer l'eau commune, constamment recyclée.
Point final qui ponctue cet épisode, un plan de son cercueil flottant dans l'espace pour venir se mêler puis se confondre avec les multiples poussières et glaces qui composent les anneaux de Saturne.
L'aspect documentaire se limite lui à l'utilisation d'une voix-off (Antoine de Caunes dans la version française) qui nous accompagne tout au long de l'histoire afin de nous expliquer les spécificités des planètes visitées et les dangers encourus par les astronautes.
Dernier né de ces fusions, le mélange entre télé-réalité et documentaire scientifique, comme la série néo-zélandaise One Land qui plonge trois familles actuelles dans les conditions de vie du XIXe siècle.

S'il ne faut pas non plus éluder leur apport à une meilleure compréhension de concepts abstraits, tous ces procédés empruntés à la fiction (on aurait pu ajouter la personnification de plus en plus prononcée des animaux dans les documentaires animaliers, où l'on baptise maintenant les animaux sauvages avec des noms fictifs, et où les interactions sociales sont couramment amalgamées avec les nôtres), cette recherche d'une esthétique spectaculaire, cette dramatisation excessive de la science, interpellent quant à la pertinence de leur utilisation massive dans un tel cadre et semblent symptomatiques de la course aux armements perpétuelle qui se joue dans le domaine de la narration visuelle.

À propos de Mel Gibson

Acteur déjà, les choix d'interprétation de Mel Gibson semblaient guidés par une notion toute catholique de la vertu sacrificielle.
Cette vison de la souffrance physique, de l'acceptation de la douleur comme voie vers une rédemption ou vers une élévation spirituelle et morale tient chez lui beaucoup de la caricature, voire du fanatisme.
Son personnage de Martin Riggs dans la série Lethal Weapon en est un exemple frappant (...) :
Dans ces films de Richard Donner qui prônent une défense musclée des valeurs familiales contre divers maux de la société (mafias, drogues, corruption, pornographie, ...), Riggs est introduit comme un jeune veuf dévasté qui lutte chaque jour contre le suicide (les trois premières scènes d'action le montrent respectivement affronter à découvert un tireur isolé qui tire sur des enfants avant de lui vider un chargeur entier dessus, une arrestation solitaire de dealers de cocaïne, quand l'un d'entre eux le braque par surprise, Riggs répète compulsivement "Tue-moi ! Tue-moi !", puis le sauvetage d'un suicidaire qui menace de sauter d'un immeuble, Riggs le rejoint et se menotte à lui par surprise, devant les menaces réitérées de l'homme, Riggs le force à sauter avec lui, ils atterrissent finalement sur un tapis gonflable déployé par la police.
Riggs entretient un rapport pathologique à la douleur, c'est même le ciment de la série (on peut notamment le voir se faire torturer ou se remettre lui-même une épaule déboîtée)... Dans le troisième volet de la série, on assiste ainsi à une étrange scène de séduction entre Riggs et Lorna Cole (Rene Russo), qui les montrent, exhibant leurs multiples cicatrices et stigmates en même temps qu'ils se déshabillent.

Dans Payback de Bryan Helgeland, le remake de Point Blank (au passage produit par Icon (...), sa maison de production), son personnage n'a plus grand chose à voir avec celui de Lee Marvin... beaucoup moins sombre, il tient plus de la relecture du Riggs des Lethal Weapon, Payback détourne l'oeuvre de Boorman pour n'offrir que de longues séquences d'un masochisme placide et déterminé (le scénario lui fournit un étrange pendant féminin en la personne de Pearl interprétée par Lucy Lui, experte en sadomasochisme).
Porter semble rechercher dans la douleur physique un sens nouveau à sa vie dévastée.
Il y est décrit comme une figure christique déviante : avec une certaine ironie une des premières scènes montre Porter prendre l'argent d'un sans abris qui fait la manche en se prétendant infirme, quand ce dernier se lève pour protester, Porter lui assène un coup avant de dire "Ta gueule, je t'ai guéri".

Sa première réalisation, Braverheart, raconte l'histoire de William Wallace, héros écossais qui résista au roi anglais Edouard Ier.
Plutôt poussif et emphatique, le film est surtout remarquable dans sa description des batailles moyennageuses, filmées avec une fureur et un réalisme inconnus jusqu'alors mais qui feront école et serviront incontestablement de nouvelle référence visuelle dans ce domaine.
Là aussi, Gibson fait de William Wallace une figure quasi-christique, qui se sacrifie pour le bien de sa communauté, et qui, capturé, se retrouve torturé les bras en croix devant une foule prise en pitié. Avec une mise en scène et le jeu tout en nuances qui le caractérisent (...), on l'entend finalement crier "Liberté" avant d'être achevé.

Avec sa version de La Passion du Christ, Gibson enfonce encore plus le clou (...) ; on peut tracer un parallèle entre son style de jeu et sa mise en scène ou son écriture, tous sont sans aucune subtilité, outrageusement démonstratifs. Mais il convient de lui reconnaître un sens certain et acharné de la fureur.
La grande idée du film est d'avoir tourné le film dans les langues originelles des protagonistes, à savoir le latin et l'araméen. Malheureusement, elle semble ici devoir servir une légitimité ou un réalisme revendiqués par Gibson alors que son film n'est au final qu'une boursouflure outrancière, développant une imagerie biblique pauvre et de mauvais goût.
Là sont les limites de Gibson, incapable de tenir un discours solide en terme de spiritualité, il préfère se réfugier dans une violence haineuse, aussi démonstrative qu'inefficace, avec un premier degré et une virulence sordides.

Apocalypto, sa dernière réalisation en date, raconte la fin de la civilisation Maya. Sa mise en scène, si elle est toujours grossière, laisse néanmoins apparaître quelques morceaux de bravoures, notamment la scène de l'arrivée dans la capitale, qui avec un montage haché au rythme binaire et un découpage de l'espace qui laisse le spectateur sans repère, désorienté, figure bien l'état mental des esclaves apeurés.
La fin, atterrante dans sa signification, nous montre au loin un galion espagnol, on comprend dès lors la finalité d'un tel projet, non plus de raconter le déclin d'une civilisation mais sa décadence. Ce presque Deus Ex Machina est lourd de sens et semblerait presque nous suggérer le caractère divin et naturel de la disparition de cette civilisation "païenne". Quand on connaît la courte et violente histoire commune entre espagnols et mayas, la suggestion est sidérante, mais significative d'une montée du fanatisme religieux, aux Etats-Unis et dans le reste du monde, un obscurantisme qui s'il se réfugie encore derrière ses livres sacrés, semble parfois avoir du mal à en saisir l'essence.