Spy Kids

Avec son compère Quentin Tarantino, Robert Rodriguez est l'un des cinéastes américains les plus frontalement postmodernes. Le recyclage à l'œuvre dans ses films dépasse le cadre du seul cinéma. Phénomène culturel globalisé et massif, il est le reflet d'une société de l'information où désormais la connaissance d'un écosystème artistique donné tend à remplacer l'acte créatif lui-même, où la capacité à interagir avec cet écosystème, à s'y positionner dans le cadre d'un discours devient prépondérante.
Le positionnement sophistiqué et ironique de Rodriguez quant au reste du système cinématographique dénote d'une vision acérée sur les questions de l'évolution du cinéma postclassique, un cinéma mutant qui semble avoir renoncé par facilité à tout premier degré, trop conscient de sa propre profondeur (à quelques rares et courageuses exceptions comme Baz Luhrmann, mais là encore, ce parti pris s'inscrit dans une démarche tellement consciente de cet état de fait qu'elle s'annihile presque d'elle même, comme s'il était vain pour une certaine génération de cinéastes de vouloir faire du cinéma classique).
Le cinéma commercial a depuis longtemps maintenant rejoint la folle ronde des médias. En concurrence avec les autres, il imite autant qu'il inspire. Forcé de séduire le spectateur, il s'adapte... James Cameron prend acte et produit Avatar, où le héros fusionne avec le spectateur : un sergent paraplégique qui redécouvre la sensation de la marche par l'intermédiaire de son avatar figure bien le spectateur immobile sur son fauteuil et qui attend du film une immersion jamais vu auparavant grâce aux lunettes 3D (solution étrangement prosaïque à la question de l'immersion du spectateur). Le film est couplé avec un jeux-vidéo sorti un peu avant et qui prend bien soin de ne pas rentrer dans le champ du film : les histoires disjointes du jeux-vidéo et du film semblant toutes deux se plier à leur média.
C'est quelque part le deuil d'un art qui est célébré dans les films de Rodriguez. À l'image du Jour des morts mexicain, c'est sous la forme d'une fête colorée et païenne que la tristesse y est exprimée. Un art qui n'a pas su garder sa substance, qui chaque jour se dilate et ce faisant se vide un peu plus de sa contenance, comme tiraillé entre trop d'impératifs de natures contradictoires.
Rodriguez peut faire penser à un docteur Frankenstein, ses films étant comme la créature du roman, une somme de références, de souvenirs cinéphiliques, recousus, assemblés les uns avec les autres et parcourus d'un courant, une énergie qui fait office de liant. En fait, il faudrait plutôt les rapprocher du personnage d'Elizabeth, la sœur adoptive du docteur que ce dernier s'apprête à épouser avant qu'elle ne soit tuée par la créature puis ressuscitée par un frankenstein fou de désespoir, mais qui ne retrouvera jamais vraiment celle qu'il a perdu.
Un des personnages les plus symboliques à mes yeux de l'état d'esprit de Robert Rodriguez est Sands (Johnny Depp), un agent de la CIA dans le film Desperados 2 - Il était une fois au Mexique. En bonne caricature cynique du stéréotype qu'il représente, il arbore en toute occasion un t-shirt floqué "C.I.A.". Il finira les yeux arrachés.

La série Spy Kids, un projet personnel de films pour enfant, lui permet en partie d'éluder ces problématiques ; face à une crise de profondeur du cinéma moderne, se confronter au regard des enfants semble être le refuge idéal pour concrétiser une narration plus directe.
La série est surtout l'occasion de poursuivre sa réflexion postmoderne (notamment par le biais des effets spéciaux) et de satisfaire le spectateur qu'il est resté, s'enveloppant dans un univers familier. Il y a dans cette démarche régressive, un aspect révélateur du désemparement (relatif) de Rodriguez ; une recherche de confort, que cela soit dans l'histoire, les thèmes abordés ou le casting composé essentiellement d'habitués (à ce sujet, voir ce tableau récapitulatif des collaborations de Rodriguez).

Les films prennent tous pour thème la famille, telle que perçue par les enfants ; une famille idéale qui ressemble à celle que l'on peut trouver dans un jeu de sept familles : un frère, une sœur, des parents et des grands-parents maternels pour ce qui est de la structure principale, en forme de tronc.
Cette structure s'étoffe au fur et à mesure des épisodes, l'oncle Machete apparaît dans le premier épisode, les grands-parents dans le deuxième volet.
Aucune génération n'est oubliée, si dans le premier épisode, ce sont les enfants qui partent au secours de leurs parents, c'est la situation inverse dans le suivant avec un combat final impliquant le père, tandis que dans le troisième épisode, c'est le grand-père qui est le plus concerné.
A la fin de chaque film, le combat oppose toujours l'ensemble du groupe familial au méchant, qui en s'inclinant se retrouve absorbé par ce groupe.
L'adversaire de l'épisode précédent devient toujours un allié qui aidera par la suite la famille, devenant ainsi une extension de cette dernière, cette force d'attraction de la famille s'applique à tout l'environnement... l'ultime scène d'action du dernier épisode convoque pratiquement tous les protagonistes des volets précédents.
Chaque personnage apporte sa singularité au groupe, y compris le grand-père paraplégique propulsé dans le monde virtuel d'un jeu-vidéo dans le troisième volet, et qui retrouve ainsi artificiellement l'usage de ses jambes.

Une autre des caractéristiques de la série est son rapport aux effets-spéciaux, déjà très présents dans le premier volet (les trois films abusent des fonds verts et de la postproduction), leur utilisation va crescendo par la suite, jusqu'à recouvrir quasi intégralement les protagonistes dans le troisième volet, les personnages disposent d'armures numériques et de fait, seule leur face est visible.
Par un effet de dématérialisation, le film redéfinit à sa manière la notion de cinéma, la progression y est longiligne et singe celle des jeux-vidéos... découpée en niveaux ostensibles. Les décors n'existent plus que sous forme d'abstractions minimalistes, et régulièrement s'auto-détruisent. Comme l'agent Sands dans Desperados 2, les personnages sont réduits aux quelques attributs symboliques de la figure qu'ils représentent, chacun tient parfaitement son rôle tel que défini par certains canons (ici, on pense fortement au Seigneur des anneaux), comme un retour à la notion d'acteur en cours dans les tragédies grecques. Il y a dans cette démarche une forme de repli fœtal appliqué au cinéma... notamment dans l'usage outrancier aux références culturelles populaires (de James Bond à Jules Vernes, en passant par Tron ou Jason et les argonautes), une volonté de concentrer jusqu'à écœurement toute cette matière première et de la régurgiter de façon presque boulimique.

Sur Richard Kelly

Richard Kelly est un jeune cinéaste américain, dont le premier long métrage, Donnie Darko (2001), a suffit à lui assurer une renommée chez nombre de cinéphiles.
Ce film indépendant, retrace l'histoire d'un adolescent qui, guidé par un personnage mystérieux habillé en costume de lapin, doit choisir entre deux destins d'égales tragédies.
Il faut attendre 2005 avant de ré-entendre parler de Richard Kelly, qui est cette fois-ci scénariste du Domino de Tony Scott, d'une certaine manière le film est exactement ce que l'on peut attendre d'une coopération entre ces deux personnalités, il mêle à la fois la fureur typique des réalisations de Scott dans les années 2000 à celle narrative de Kelly. Survolté et hystérique, le film raconte l'histoire vraie de Domino Harvey, la fille de l'acteur Laurence Harvey, devenue chasseuse de prime, et écorche au passage les médias américains : l'équipe de chasseurs de primes de Domino participant à une émission de télé-réalité, animée par deux anciennes vedettes de la série Beverly Hills qui serviront finalement d'otages lors d'une improbable opération montée pour sauver la vie d'une fillette. Sur ce film, voir l'étude de Larry Knapp sur JUMP CUT.
En 2006, Richard Kelly présente à Cannes son deuxième long métrage en tant que réalisateur,Southland Tales, qui devait originellement se centrer sur le milieu hollywoodien, mais que Kelly ré-écrira après le 11 septembre, en faisant le récit du basculement de toute une nation dans une hystérie politico-religieuse suite à des attentats dans le Texas et le déclenchement de la troisième guerre mondiale.
Le film est conspué à Cannes, il sera fortement remonté et fera un four sur les écrans américains. En France, il sortira directement en DVD.
Là encore, Kelly fait étalage de sa capacité à triturer la narration classique, ainsi le narrateur Pilot Abilene (il porte le même nom que la ville du Texas où se situe les attentats terroristes déclencheurs de la guerre) traverse le film sans que l'on soit jamais capable de le mettre définitivement dans une des catégories définies par la narratologie, allant même jusqu'à chanter dans ce qui semble être un trip sous fluid karma, séquence qui forme un clip à part entière à l'intérieur du film. L'histoire, comme dans Donnie Darko, convoque une faille spatio-temporelle, issue d'une légère dérive de la Terre par rapport à son axe de rotation suite à la mise en place par le baron Von Westphalen, un scientifique renégat, d'une plate-forme maritime permettant d'utiliser un champ hydro-électrique appelé fluid karma (drogue et énergie sont une seule et même chose aux E.-U.), source d'énergie qui alimente les machines de guerre américaines sans limitations.
Son dernier film en date, The Box, raconte l'histoire d'une famille moyenne américaine, soumise à une épreuve morale et d'essence divine à travers un choix : celui d'appuyer sur un bouton dans une boîte et de recevoir ainsi un million de dollars tout en sachant que quelqu'un sur Terre mourra de cette action. Tirée d'une nouvelle assez courte de Richard Matheson, l'histoire en est inutilement rallongée, Richard Kelly sombre dans une sorte d'auto-caricature de lui-même dans ce film où le ridicule d'un ésotérisme tellement frontal qu'on en vient à se demander s'il est ironique envahit peu à peu l'écran, le film n'en demeure pas moins cohérent avec le reste de sa filmographie.

En analysant brièvement cette filmographie, on constate que la religion semble être le centre de ses interrogations et de son écriture, c'est avec beaucoup de confusions que l'on se retrouve balladés entre deux composantes qui sont le rapport à Dieu (ou plutôt à une puissance supérieure) et le moralisme.
Ses deux thématiques s'entrechoquent au sein de son oeuvre sans qu'il soit toujours aisé d'en démêler le sens ou la finalité, souvent en une bouillie, autant narrative que formelle.

Déjà, Donnie Darko mêle de manière hypnotisante une guerre sur deux fronts : condamnation de la moralité religieuse à travers le personnage du néo-prêcheur Jim Cunningham et ses théories simplistes qui trouvent un écho chez la professeur de sport Kitty Farmer, la parfaite représentante des valeurs familiales de l'Amérique, qui ira jusqu'à témoigner pour Cunningham lorsque celui sera confondu en tant que pédophile, reniant ainsi par fanatisme et aveuglement les vertus qu'elle défendait tantôt.
De l'autre côté, Donnie expérimente de manière directe son rapport à Dieu, c'est avec le crash mystérieux d'un réacteur d'avion sur sa chambre que sa mise à l'épreuve commence [Kitty Farmer est une illustration remarquable de la religion statique de Bergson, là où Donnie figure la religion dynamique].
Car comme dans The Box, il y a une épreuve divine. Dans les deux films il est demandé aux protagonistes de faire un choix. Dans The Box, la mise à l'épreuve est ostensiblement biaisée : le jour où le couple Lewis reçoit la clé permettant d'ouvrir la boîte, Norma Lewis apprend de son directeur qu'elle sera renvoyée pour cause de baisse des budgets de l'école dans laquelle elle enseigne, ce dernier saigne du nez après lui avoir annoncé la nouvelle, signe qu'il n'agit que comme un pantin de la puissance supérieure représentée sur Terre par Arlington Steward, tandis qu'Arthur Lewis apprend qu'il ne sera pas astronaute pour cause d'échec aux tests psychologiques.

-La quête de Dieu est-elle absurde ?
-Elle l'est si on meurt seuls

Donnie Darko acquiert le pouvoir d'entrevoir son destin, il n'est plus comme ces marionnettes qu'il observe, guidées par ce fil du destin qui les précède partout où elles vont. Pris dans une boucle temporelle, il prend conscience progressivement du sens tragique de la vie, jusqu'à rire ironiquement de son sacrifice, afin de sauver ceux qu'il aime, et dont il sait que personne n'en saisira jamais la portée profonde.
Au final, il meurt seul, comme dans la phrase prophétique que la veille Roberta Sparrow lui chuchote. Dans The Box, le couple Lewis devra effectuer un choix sacrificiel du même ordre afin de sauver leur fils Walter.
Cette position christique est soulignée dans Donnie Darko par la référence au film de Scorsese The Last Temptation of Christ.

Les deux films ont aussi en commun de se dérouler dans le passé (1983 pour Donnie Darko, 1976 pour The Box) et dans une petite ville américaine, s'opposant en cela aux deux autres films que sont Southland Tales et Domino qui prennent part de nos jours dans Los Angeles (Southland Tales se déroulant dans un futur alternatif proche).
Les personnages de Kelly semblent perpétuellement désemparés dans l'un ou l'autre de ces environnements, comme pris en tenaille par cette opposition marquée entre ces petites villes à la morale étouffante et cette grande métropole délurée, entre passé et présent, ce qui explique peut-être leur forte propension aux voyages spatio-temporels qu'on pourrait interpréter comme une oscillation constante entre les valeurs contradictoires que diffuse l'Amérique, ne sachant jamais ni où ni quand se situer entre ces deux extrêmes qui figurent assez bien le delta, le fossé dans lequel se définit le pays. Dans les deux situations, fleurissent d'ailleurs avec abondance des drapeaux américains.

D'un côté, Kelly stigmatise le puritanisme religieux des petites villes : Kitty Farmer qui veut brûler la nouvelle de Graham Greene dans Donnie Darko, ou le jeune étudiant dans The Box qui condamne Estelle Rigault, personnage de la pièce Huis clos de Sartre, dont il dit qu'elle brûlera en enfer (...) pour s'être mariée avec un riche vieillard.
A l'opposé, Kelly nous montre Los Angeles comme une métropole ravagée par la folie, dominée par les pulsions sexuelles, un cirque constant où la télévision sert de guide moral : dans Domino, il convoque le Jerry Springer Show et Domino explique la fascination de sa mère pour la série Beverly Hills, dans Southland Tales, Kelly nous montre brièvement des extraits de Now, l'émission de débat sur des sujets de société de l'actrice porno Krista Now.
Là où les deux films ruraux sont organisés autour de la cellule familiale, Domino et Southland Tales moquent ce schéma classique : la famille de Domino constituée de sa seule mère qu'elle nous présente comme arriviste, Lateesha Rodriguez qui se revendique la grand-mère afro-latino la plus jeune des Etats-Unis, la belle-famille calculatrice de Boxer Santaros pour qui seules comptent les apparences.
Plutôt qu'aux familles structurées, les deux films font la part belle à des groupes de personnages marginaux : à la bande hétéroclite de Claremont dans Domino qui tente de sauver la petite fille de Lateesha répond le groupe tragi-comique des néo-marxistes de Southland Tales qui essayent pathétiquement de monter une opération visant à discréditer la police de Los Angeles aux yeux de l'opinion publique...
La célébrité y est hautement valorisée : le groupe néo-marxiste veut se servir de Boxer Santaros pour légitimer leur vidéo, tandis que dans Domino, les deux anciennes vedettes de Beverly Hills se présentent dans la scène finale comme "des célébrités en otage, parce qu'il paraît que les gens se tirent pas dessus quand des célébrités sont là".

Les deux films se terminent par des explosions : celle du zeppelin dans Southland Tales sous fond d'émeute urbaine et celle du dernier étage d'un palace de Las Vegas dans Domino, ces destructions de lieux élevés symboles de la classe dirigeante dénotent bien les aspirations au changement qu'on trouve dans les films de Kelly.
Tous se réfèrent de manière plus ou moins directe à l'apocalypse, mais c'est en fait l'éclatement d'un système, ou plutôt l'éclatement des cellules qui le composent qui est ici prophétisé, anéanties par un désir d'émancipation intime par rapport à la morale, frustrées face à l'inconsistance de leurs vies.

La dualité femme / action chez les personnages de Michael Mann

[Sur sensiblement le même sujet, Mia Hansen-Løve a écrit un texte pour Les Cahiers du cinéma en 2004]

Rares sont les cinéastes hollywoodiens à offrir aujourd'hui, à la fois une ambition esthétique et thématique dans leurs films.
Michael Mann est de ceux-ci, ces dernières années, il a multiplié les tentatives d'apprivoisement des outils numériques, réussissant à les intégrer de manière cohérente au sein de son oeuvre, poursuivant un réalisme formel, sobre et touchant, qu'il cherche à confronter à l'écriture hollywoodienne et offrant ainsi un contraste percutant.
De prime abord, son oeuvre semble ancrée de manière quasi-exclusive dans un univers masculin, dans la continuité de celle, misogyne, d'un Jean-Pierre Melville.
Le héros mannien possède de nombreux points communs avec le héros melvillien ; solitaire et silencieux, souvent mature et fataliste.
Mais là où chez Melville, les femmes restent cantonnées à un rôle biblique (Bob Le Flambeur est un bon condensé où les femmes y sont montrées tour-à-tour comme tentatrices, vénales, pousses-au-crime, soumises et manipulatrices), leur place chez Michael Mann est autrement plus complexe, et s'imbrique même dans une relation plus générale qui unit le héros à sa cellule familiale et qui vient s'opposer de manière frontale à l'action, définissant ainsi l'essence d'un tiraillement auquel le héros mannien ne semble pouvoir échapper.

Le film référant de ce schéma est Heat, où le motif du couple est omniprésent, beaucoup des personnages du film sont en couple, jusqu’au plus insignifiant, et c'est en partie cette relation qui définit ces personnages et leur place dans le film : l'explosif lieutenant Vincent Hanna (Al Pacino) qui gère tant bien que mal les relations orageuses avec sa troisième femme et sa belle-fille, Neil McCauly (Robert de Niro), solitaire et prudent qui tente de refaire sa vie avec sa nouvelle compagne, l'impulsif Chris Shiherlis (Val Kilmer) forme un couple destructeur avec Sharlen (Ashley Judd), Waingo - l'artiste (Kevin Gage), dont on peut voir le rapport aux femmes lorsque, frustré, il tue une prostituée au couteau de chasse (...) qui le flatte faussement sur ses performances sexuelles, ou bien Donal Breedan (Dennis Haysbert), le chauffeur du casse.
Dans ce film apparaît clairement la dualité qui habite ces personnages dont les compagnes font tout pour endiguer les aspirations destructrices : Justine Hanna (Diane Venora) qui n'accepte plus de partager son mari avec son métier et les criminels qu'il pourchasse, Eady (Amy Brennen), qui apparaît comme la seule échappatoire à Neil McCauly, Lilian (Kim Staunton) qui tente de réinsérer son compagnon Donal Breedan en lui faisant accepter un travail humiliant de larbin dans un snack.

Une oeuvre plus tardive de Mann, The Insider renvoie exactement la même duplicité chez son personnage central Jeffrey Wigand (Russel Crowe) qui se retrouve écartelé entre son devoir familial et son entreprise de dénonciation de l'industrie du tabac : "ma femme était contente, belle maison, bonnes écoles", lui qui avoue dans un premier temps au producteur Lowell Bergman (Al Pacino), vouloir signer le nouvel avenant de sa clause de confidentialité pour ne pas perdre sa sécurité sociale car sa fille est asthmatique.
Une partie de l'intensité dramatique se concentre sur la pression mise sur sa famille, qui se décompose au fur et à mesure que prend forme son témoignage. Sa femme Barbara (Hally Kate Eisenberg), épuisée et réticente à sa lutte, finira par divorcer.

Un autre des aspects dans le cinéma de Michael Mann qui montre la place de la femme et son importance dans la définition des personnages masculins est la ressemblance, dans les traits physique ou de caractère, qui lie le couple : ceux de Heat bien sûr, mais aussi ceux de Miami Vice avec le couple posé : Ricardo Tubbs (Jamie Foxx) / Trudy Joplin (Naomie Harris) et celui plus instable formé par Sonny Crocket (Colin Farrell) et Isabella (Gong Li), dans The Insider avec le couple paisible du producteur Bergman et celui du docteur Wigand, chamboulé et torturé par les affres médiatiques, dans Ali, où les différentes femmes de Cassius Clay (Will Smith), sont autant de jalons dans sa vie : l'impertinence et la fougue des débuts, la découverte de la spiritualité et le combat contre les institutions américaine, puis le nouveau départ avec la victoire à Kinshasa, le couple fusionnel et détraqué que forment Dilinger (Johnny Depp) et Blackbird (Marion Cotillard) dans Public Enemies. Tous ces exemples renvoient une homogénéité forte au sein du couple, ce qui en ferait presque la granularité élémentaire de la grammaire narrative de Mann, les personnages de premier plan célibataire étant d'emblée perçus comme incomplets (Collateral).

Mais l'importance constitutive du couple ou de la famille chez les personnages manniens n'est que partielle et trouve sa limite dans leur autre composante : l'action.
Là où le cadre familiale symbolise chez lui le désir de vivre, l'action représente elle les pulsions morbides et destructrices du héros mannien qui n'a de cesse d'osciller entre ces deux postures.
C'est dans sa mise en scène que Mann exprime le mieux ce balancement : là où les scènes d'action font éclater l'espace et le temps, les dilatant dans un ballet sonore et visuel, chaotique et magistral, les scènes d'amour ou de séduction visent à la fusion paisible des corps - préalablement séparés par le cadre - au sein du même plan.

Collateral, bien que le film ne soit pas écrit par Mann lui-même mais par Stuart Beattie, semble pourtant se plier à ce schéma, dont il est une variation.
Dans ce film, le héros Max (Jamie Foxx), chauffeur de taxi incapable de passer à l'action et de mettre en pratique ses rêves, n'a pas grand chose de mannien, et Annie, l'avocate qu'il rencontre (Jada Pinket smith) contraste avec lui de par sa détermination et son rang social.
On notera par ailleurs avec une certaine ironie que sa mère est la seule femme présente dans son entourage, cela le rabaisse au niveau d'un enfant en comparaison du canon mannien, et renforce plus encore l'aspect initiatique du film.
De l'autre côté, Vincent (Tom Cruise) le tueur professionnel n'est pas non plus totalement un personnage mannien dans le sens où aucune femme ne lui semble attaché, seule apparaissant chez lui la dimension morbide.
A eux deux, ils forment les deux composantes du personnage fort et typique chez Mann, et c'est dans un affrontement père / fils que Max émergera finalement en personnage mannien à part entière, au côté de sa nouvelle compagne.

Deus ex Hollywood

Au-delà de la locution "Deus ex machina", signifiant le raccourci narratif permettant de dénouer de manière impromptue - miraculeuse - une situation fictive, il existe des liens étroits entre fiction et religion.
Le propos de ce texte n'est pas d'analyser la religion en tant que fiction, ni même les codes narratifs, la mise en scène et artifices déployés dans le cadre de la pratique d'une religion (livre sacré, rituel, clergé, édifices...), mais de souligner son influence constante, notamment en matière de morale, dans la fiction cinématographique, ici le cinéma hollywoodien.

S'il fallait synthétiser le cinéma hollywoodien en un mot, "Bible" serait sûrement celui-ci, les livres sacrés du judaïsme et du christianisme transpirent à travers toute l'histoire de cette industrie.
Rares y sont les films faits là-bas qui ne tiennent pas de la relecture ou de la variation plus ou moins consciente d'un épisode du nouveau ou de l'ancien testament, ou qui n'offrent à voir une énième figure christique.
La chose peut sembler naturelle dans un pays où la ferveur religieuse a toujours été grande, et constitue même en un sens, l'un des ciments de cette société multi-culturelle et dont la diversité sociale semble sans commune mesure par comparaison avec le vieux continent.

D'une révolution l'autre, de la période classique au nouvel Hollywood jusqu'à l'avènement des réalisateurs geeks post-Tarantino, c'est un éternel spectacle biblique qui nous est présenté, seules évoluant réellement les techniques de narration.
Qu'ils cherchent à la dépasser ou non, les scénaristes et réalisateurs hollywoodiens restent profondément englués dans cette identité chrétienne, que ce soit dans une attitude d'opposition et de rejet ou simplement dans une attitude plus conciliante, le cinéma hollywoodien continu de se définir dans son rapport à la morale judéo-chrétienne.

Dans la droite lignée de la littérature romanesque, la fiction hollywoodienne de l'âge d'or n'est perçue par le spectateur qu'à travers ce prisme.
Projetant des personnages dans un univers où le bien et le mal sont des notions clairement établies, possiblement distinctes voire disjointes.
La fiction n'est pas tant un portage romancé de la réalité que celui des règles morales à suivre.
Des exemples ludiques et extrèmes, des mises en situations romancées des choix moraux qui jalonnent une vie... Ni plus ni moins que la continuité directe, le prolongement de l'ancien testament, mais éclaté à l'extrême car échappant au carcan d'une religion.
Les acteurs stars - on peut parler d'icônes - des studios, clairement identifiables et confinés à un certain type de personnage, toujours impécablement mis en valeur, jouent ici le même rôle que les personnages symboles que l'on retrouve tout au long de la lecture de la bible.
Les films de John Ford par exemple, avec leur redondance thématique, des cadres richement composés et fixes, ne sont pas sans évoquer l'iconographie religieuse.

Avec l'essor du Nouvel Hollywood à la fin des années 60, et conjointement à la révolution culturelle qui se déroule à cette époque, on remarque une opposition franche vis-à-vis de ce procédé, le cinéma mondial tente de s'émanciper du joug narratif induit par le moralisme religieux et des codes qui s'en rattache.
Dans la lignée du néoréalisme italien et de la Nouvelle Vague française, le traitement visuel se veut plus réaliste, les icônes symboliques hollywoodiennes laissent place à des acteurs au jeu moins théâtral, interprétant des personnages moralement ambigus (Bonnie & Clyde, Easy Rider, Badlands, M.A.S.H.). Une nouvelle génération de réalisateurs et scénaristes hollywoodiens (Sam Peckinpah, Dennis Hopper, Arthur Penn, Sidney Lumet, Robert Altman, John Cassavettes, ...) bouleversent et retournent les codes moraux qui dictaient jusqu'alors ce cinéma et que leurs prédécesseurs (Howard Hawks et Scarface, Hitchcock) , aussi hardis soient-ils avec la censure et les dirigeants des studios n'avaient pu que timidement bousculer.
Le but est de ré-inventer le cinéma, briser le moule narratif et esthétique dans lequel il est tenu, chercher dans des rythmes plus contemplatifs, à se détacher des constructions artificielles d'épreuves d'essence divine auxquelles sont soumis les hommes, de les replacer au centre de leur réflexion morale.
Le Nouvel Hollywood finira par se diluer avec l'arrivée de cinéastes comme Steven Spielberg et George Lucas, qui imposent un nouveau modèle grand public ou comme Brian De Palma et John Carpenter qui, fascinés, n'ont de cesse de recycler le cinéma classique.

Dans la période des blockbusters, le christ est sûrement la figure implicite la plus représentée, on peut même être tenté de ne voir ce cinéma que comme une mosaïque éparse et hétérogène qui ne raconterait qu'un seul et même personnage placé à chaque nouveau film dans un contexte différent. Si le cinéma classique semble se référer à l'ancien testament, c'est sous le prisme du nouveau testament que se reflète désormais le nouveau cinéma commercial hollywoodien.
Les traits christiques que le héros hollywoodien moderne adopte sont autant dans la droiture morale que dans la dimension sacrificielle du christ.
Citons pèle-mêle un acteur comme Mel Gibson, particulièrement représentatif, ou des personnages comme John McClane (Die Hard), Neo (Matrix), John Rambo (Rambo), le sergent Elias Grodin (Platoon), Optimus Prime (Transformers), Spider-Man (Spider-Man 2, la scène du métro).

L'autre axe biblique particulièrement mis en valeur lors de cette période est celui de la thématique de l'apocalypse. Les films catastrophes, dans une escalade du spectaculaire significative, revisitent sans se lasser les différents épisodes bibliques que sont le déluge, la tour de Babel, Sodome et Gomorrhe, les dix plaies d'Egypte, l'apocalypse selon Saint Jean, ...
S'il convient de souligner que ces projets sont en partis motivés par leur potentiel spectaculaire, il ne faut pas pour autant en exclure la dimension religieuse et la montée d'un certain puritanisme, qui voit dans la société occidentale moderne mondialisée, tour à tour une nouvelle Babel dont l'expansion sans fin est la marque d'un manque d'humilité et d'une inconscience relative vis-à-vis de la nature qui l'entoure (The Day after tomorrow) ou une société décadente en perte de repères moraux (Southland Tales).
Dans ces films le rapport à Dieu est frontal et simpliste, la distance avec le divin s'effaçant jusqu'à l'absurde (Legion, Bruce Almighty).
La nouvelle génération de réalisateurs geeks n'échappe pas, loin s'en faut, à ce mouvement, les horror movies modernes, dans un surprenant retournement de valeur vis-à-vis de leurs modèles qui dénonçaient justement l'oppression vis-à-vis d'une jeunesse émancipée, mettent en scène des massacres d'étudiants sexuellement libérés (qu'ils auront souvent préalablement filmés avec avidité) avec un enthousiasme et un manichéisme qui laisse songeur (Piranhas 3D, Hostel) qui semble tenir autant d'une frustration refoulée que d'une intransigeance inavouée, le tout sous couvert d'un second degré revendiqué mais pas toujours évident à déceler.

Joe Dante Afterworld

À l'heure où sort le remake 3D de son premier vrai film Piranha, produit à l'époque par Roger Corman, on peut s'interroger de manière mélancolique sur la place qu'occupe aujourd'hui un réalisateur comme Joe Dante dans le cinéma américain et sur l'évolution d'une industrie qui d'année en année se recompose en bataillons serviles de réalisateurs dépourvus d'une quelconque velléité politique, travailleurs sûrement passionnés et techniquement compétents mais qui, avec un premier degré parfois effarant, semblent avoir oubliés, s'ils l'ont jamais su, que l'entertainment n'a pas toujours été que de l'entertainment.
Constater qu'Alexandre Aja est loin d'être le pire de tous ses rookies fini de démontrer l'ampleur du propos.
La 3D aura au moins permis à Dante de se voir confier à nouveau la direction d'un film de cinéma, The Hole, lui qui semblait désormais conscrit à la télévision, dont il a d'ailleurs su tirer des œuvres remarquables, d'un niveau équivalent à celles de ses meilleures réalisations cinématographiques, citons The Second Civil War (produit par Barry Levinson) et les deux épisodes qu'il a réalisé pour la série Masters of Horror, retrouvant paradoxalement un espace de liberté qu'on ne semble plus vouloir lui accorder sur grand écran, y-compris chez Steven Spielberg dont il fut longtemps l'un des protégés.

Au-delà des habituelles considérations critiques et/ou esthétiques, c'est dans le cadre d'une analyse sociologique qu'il est intéressant d'observer l'industrie hollywoodienne, qui a su développer au cours du XXe siècle et en ce début de XXIe, un langage narratif propre à raconter l'évolution d'un jeune pays devenu un géant mondial en quelques centaines d'années, portant en son sein même les contradictions et errances de ce pays qu'elle dépeint tour à tour avec férocité ou complaisance.
C'est dans ce cadre que l'œuvre de Joe Dante révèle toute sa richesse, faisant de lui l'héritier impertinent d'une longue série de cinéastes.

Joe Dante se démarque par son ton caricatural, plein d'ironies... même quand il fait un film d'horreur où de petits monstres verts et écailleux viennent bouleverser le quotidien paisible d'une petite ville américaine lors de la nuit de Noël (Gremlins), ceux-ci se révèlent rapidement bouffons, mimant avec une stupidité moqueuse et réjouissante leurs victimes, autant qu'ils tentent de les tuer.
Il y a quelque chose de révolutionnaire dans ce film, qui prend d'abord le chemin d'un horror movie classique, y compris dans les scènes d'introduction à l'apparition des gremlins, d'abord avec le principe des inquiétants cocons puis avec une mise en scène qui reprend les canons du genre, en ne dévoilant que très progressivement l'anatomie entière de la bête.
La farce qui s'en suit est d'autant plus grinçante et troublante que ces créatures semblent étrangement nihilistes et renvoient aux américains moyens qu'elles agressent une image déformée de leur propre attitude souvent ridicule.
La tension dramatique chez Joe Dante est continuellement vidée de son sens, tournée en dérision, ses personnages adultes souffrent tous d'obsessions et de monomanies, tous les dialogues ne sont que la révélation continue de leurs symptômes : les parents ou voisins dans Gremlins ou Small Soldiers, les employés et le patron de l'entreprise Clamp dans Gremlins 2, les différents protagonistes d'Innerspace... le summum de ce style étant peut-être The Second Civil War où l'hystérie collective d'un pays se dessine par petites touches, portraits de politiciens débiles (le président des États-Unis interprété par Phil Hartman, qui se contente d'immiter les attitudes d'anciens présidents) ou obsédés (le gouverneur Jim Farley interprété par Beau Bridges, qui alors même qu'il entraine son pays dans une guerre civile, reste entièrement préoccupé par son aventure avec une journaliste), de journalistes carriéristes, de rédacteurs intéressés par la seule audience, d'humanitaires hystériques et intransigeants, de conseillers politiques véreux, ...
De manière générale, les adultes dans les films de Joe Dante, happés et obnubilés par leurs propres démons, sont impuissants ou aveugles face aux évènements, laissant aux enfants ou jeunes adultes le soin d'agir (Gremlins, Small Soldiers, Matinee). Parmi les adultes, seules les femmes semblent, dans des déferlements ponctuels de rages, capables d'agir, repoussant ainsi par à-coups les limites exigües de leur condition de housewives (Lynn Peltzer qui se réapproprie une cuisine à laquelle elle semble enchaînée dans une scène mémorable de massacre de gremlins, territoire envahi par les inventions infernales et inefficaces de son mari qu'elle recycle, ainsi que les autres appareils éléctro-ménager ou ustensiles de cuisine, en armes de son émancipation, dans Small Soldiers c'est Irene Abernathy qui repousse les projectiles enflammés du commando élite à l'aide d'une raquette de tennis, et surtout Christy Fimple qui se rebelle furieusement contre ses barbies).

La parodie et le recyclage des références culturelles et cinématographiques sont un des outils les plus utilisés par Joe Dante dans sa mise en scène : dans Small Soldiers et Gremlins 2 on les compte à la dizaine ; Terminator, Patton, Doctor Strangelove, Frankenstein, Apocalypse Now, Rambo, Batman, ...
Dans The Second Civil War, est repris comme dans Small Soldiers, le thème musical de Doctor Strangelove. La référence parait évidente tant The Second Civil War semble être le descendant direct du film de Kubrick.
Toutes ces références participent à l'effort de Joe Dante pour dédramatiser ses propres films, qu'ils transforment en miniatures dégénérées de ces films hollywoodiens.
En prenant pour cadre principal les petites villes américaines ou les boring suburbs, il dilue la puissance dramatique de ses références ; les champs de batailles hollywoodiens sont réduits à la taille d'un pâté de maison, les forts assiégés sont des maisons de middle class (Gremlins, Small Soldiers).

Une des composantes majeures de son discours semble être, à l'instar de nombreux autres cinéastes étudiés sur ce site, l'opposition entre la nature et technologie.
Ainsi, les gremlins font figure de métaphore des dangers d'une industrialisation non contrôlée et destructrice.
Joe Dante oppose constamment la nature et la technologie : l'arbre qui gêne la réception de l'antenne satellite, l'affrontement entre les pacifiques gorgonites et le commando élite dans Small Soldiers, le building de la société Clamp dans Gremlins 2.
Les grosses sociétés mondialisées sont décrites comme des monstres destructeurs : Clamp (pinces en anglais, le logo de la société est une pince prenant en étau le globe terrestre) dans Gremlins 2, Globotech dans Small Soldiers.
L'immeuble de la société Clamp est un long inventaire d'absurdités : les portes automatiques, les robinets, les lumières individuelles, les ascenseurs... tout les éléments du mobilier convergent à rendre la vie des personnes qui y travaillent impossible, se faisant le pendant extrême des inventions du père de Billy Peltzer dans le premier Gremlins.
Les habitants de la ville de New-York sont uniformisés par leur incivisme et leur cynisme, leur carriérisme... idéal d'une société où la productivité est une valeur essentielle (un des messages d'information automatiques du building Clamp souhaite une journée productive à ceux qui passent la porte).
Clamp pousse le délire jusqu'à interdire les films en noir et blanc sur son réseau de chaînes câblées (un autre message du building Clamp annonce la diffusion de Casablanca en couleur et avec une fin heureuse).
Une des composantes de la technologie qui cristallise particulièrement les angoisses de Joe Dante est l'écran, de contrôle ou de télévision, qui symbolise chez lui l'asservissement de l'homme : le sous-directeur de la banque dans Gremlins qui essaye de draguer Kate Beringer en lui disant avoir la télévision par câble, le père de Christy Fimple, obsédé par son installation home vidéo ou les voisins qui préfèrent augmenter le son de leur téléviseur alors que retentissent les explosions dans Small Soldiers, les employés chargés de la surveillance dans Gremlins 2, le microcosme politico-médiatique dans The Second Civil War pour qui la télévision est l'élément qui détermine toutes leurs décisions, elle est le vrai centre névralgique du film (le président lance un ultimatum au gouverneur Farley de 67 heures à la place de 72 heures afin de ne pas empiéter sur l'horaire d'une série télé populaire, le rédacteur en chef qui insiste pour que l'avion qui ramène les réfugiés ne fasse pas d'escales pour réparer les toilettes afin qu'il atterrisse en plein prime-time)... Si les enfants occupent une place si importante dans ses films et contrastent tant avec les adultes, c'est peut-être en partie parce que Joe Dante considère qu'ils n'ont pas encore été contaminés par l'écran.

Satoshi Kon will never really die

Beaucoup ont regretté la disparition d'un maître de l'animation japonaise...
Pour ma part, je pleure un cinéaste.
De ceux qui vous font ressentir instantanément que le cinéma est encore plein de vitalité, de voies à explorer, à sonder... qui vous rappelle ces sensations qui n'appartiennent qu'aux enfants, un saisissement pur et candide.
Dans chacun de ses films que j'ai pu voir, il y a ce même foisonnement d'idées... un déluge qui rapidement submerge et force à délaisser pour un instant une distance, un esprit analytique qui fait chercher, souvent en vain, ce qui n'existe que trop rarement, pour mieux ressentir enfin et d'une manière presque apaisée, le plaisir du simple spectateur transporté.

Training Day, Collateral

Cérémonie des oscars 2002, Denzel Washington, en concurrence notamment avec Will Smith, est le premier afro-américain à recevoir l'oscar du meilleur acteur pour son rôle dans Training Day d'Antoine Fuqua.
Sa récompense, méritée, est un peu dépréciée par le fait que lors de la même édition, la tiède Halle Berry est elle aussi la première afro-américaine lauréate de l'oscar de la meilleure actrice... comme si plutôt qu'une récompense individuelle venant sanctionner le talent d'un comédien, il s'agissait plutôt de l'expiation collective de l'industrie hollywoodienne vis-à-vis d'une communauté dont le traitement cinématographique au cours du XXe siècle fut des plus ambigus... dernière petite humiliation d'une longue série... la discrimination positive laisse souvent un goût amer dans la bouche.
Trois ans plus tard, Tom Cruise, un des acteurs les plus talentueux de sa génération mais souvent décrié pour des raisons qui n'ont pas grand rapport avec le cinéma, ne sera même pas nominé pour son rôle dans le film de Michael Mann, Collateral.

Ces films semblent être les deux faces d'une même pièce... Une même tragédie qui se déroule tous les jours dans le même théâtre, Los Angeles, une ville qui ne dort jamais et que Vincent (Tom Cruise), le tueur professionnel de Collateral décrit comme trop étendue et tentaculaire.
Utilisant une temporalité très courte, une journée pour Training Day et une nuit pour Collateral, Fuqua et Mann font se confronter deux figures opposées sous la forme d'un long dialogue entre eux tout en parcourant l'immensité de la ville en voiture.
C'est lors de cette journée initiatique que va s'opérer un basculement chez les deux héros naïfs que sont Jake Hoyt (Ethan Hawke) jeune policer idéaliste qui vient juste d'intégrer la brigade des stupéfiants de Los Angeles et Max, chauffeur de taxi rêveur mais incapable d'agir pour s'extraire de la médiocrité de son quotidien.
La leçon, ils la recevront de la part de deux personnages désabusées, figures tutélaires cruelles et dures mais dont la soif de transmettre transparaît, l'implacable tueur Vincent et le calculateur Alonzo Harris (Denzel Washington), flic pourri qui court désespérément après un million de dollars afin de sauver sa tête.
À travers les déambulations dans Los Angeles, véritable troisième personnage, qui synthétise tous les dangers potentiels et l'hostilité du monde extérieur, les étapes s'enchaînent comme autant d'opportunités de mettre en application les leçons et discussions menées dans la voiture, qui dans un huis-clos morcelé, isole le duo du reste de la cité lors de ces joutes verbales où le lien se construit et évolue constamment.
Afin de grandir, de dépasser leurs conditions, Max et Hoyt devront affronter ces deux incarnations perverties de la figure paternelle que sont Vincent et Alonzo... d'abord dans les paroles puis dans les actes, forcés petit-à-petit de reproduire et d'adopter leurs attitudes [dans une des scènes de Collateral, Vincent force Max à répéter mot pour mot ce qu'il dit à son patron qui le menace par radio, il le menotte ensuite à son taxi à l'image d'un oisillon contraint de rester dans son nid. Dans une scène suivante, Max doit se faire passer pour Vincent dans un bar afin de récupérer les informations égarées sur les cibles restantes, Vincent lui ordonne alors de sortir du taxi... c'est là le véritable envol de Max qui doit imiter la figure paternelle, comme l'oisillon imite ses parents pour s'envoler].
Au fur et à mesure de la confrontation, le rapport de force s'inverse petit-à-petit.
Encore une fois à la manière d'un père vieillissant, les failles de Vincent et Alonzo commencent à percer, ils paraissent à chaque scène plus humains sous le regard de Max et Hoyt, qui dans des trajectoires inversées s'endurcissent.
L'émancipation et le dépassement de soi se fera dans le sang, les deux réalisateurs s'attardant ensuite longuement sur les corps de Vincent et Alonzo, figés en des postures pathétiques, dépouillés de toute leur arrogance tourmentée.

Leur mort ne renvoie pas uniquement à une manichéenne victoire du bien contre le mal mais à l'achèvement de la transmission, à l'accomplissement de Max et Hoyt qui sortiront, non pas grandis mais transformés par cette rencontre, lavés de leur innocence ou impuissance originelles et emportant désormais avec eux et pour toujours cette part d'ombre en héritage.

Mamoru Oshii et la réalité

Dans une grande partie du cinéma, la technologie est montrée de manière quasi-systématique comme un élément qui vient briser le lien entre l'homme et la nature (Terry Gilliam, ...), interposant entre eux une prison sensorielle, modelant une nouvelle réalité désincarnée (Jonhatan Mostow avec Terminator 3 : Rise of the machines et Surrogates).
L'homme transformé par la technologie devient un monstre au fur et à mesure que son lien avec la nature s'étiole (David Cronenberg, Hayao Miyazaki).

Tout au long de sa brillante filmographie, Mamoru Oshii n'a eu de cesse de s'interroger sur cette même technologie et la manière dont elle bouleverse effectivement notre rapport à la réalité, mais d'une manière autrement moins viscérale que nombre de ses confrères, toujours emplie d'une certaine mélancolie mais en délaissant en partie les préjugés moraux et culturels qui bien souvent viennent bruiter les réflexions sur ce thème, se rapprochant en cela d'un Philip K. Dick.

Dans Ghost in the Shell, déjà le générique de début apparaît sous des flots de codages numériques... les corps des protagonistes sont en grande partie synthétiques, n'appartiennent plus à l'esprit qui les fait se mouvoir mais au gouvernement et exigent une maintenance lourde et régulière afin de fonctionner correctement.
Ce rapport contraignant à la réalité, cette dissociation radicale entre corps et esprit font émerger un mal-être, un spleen omniprésent chez le major Kusanagi. Elle n'a de cesse de se demander où se trouve sa réalité, elle qui n'a plus de consistance dans celle-ci, si ce n'est par l'intermédiaire d'un corps-armure qui lui permet encore d'interagir avec notre monde, mais de manière trop distante et indirecte pour lui masquer l'illusion de ce procédé.
Une des scènes clés du film nous la montre plongeant en mer, son corps synthétique s'enfonce dans l'eau en pleine nuit, comme en apesanteur, autant pour nous figurer le baptême que le liquide amniotique... dans l'obscurité de la confusion et du doute, c'est ici une renaissance qui lui est offerte, elle qui fusionnera à la fin du film avec l'entité entièrement artificielle qu'elle cherche avec une insistance qui ne tient pas qu'au cadre de sa mission, débarrassée, délestée de ce corps, cette coquille désormais vide qui l'entraînait tantôt dans les fonds abyssales de l'océan.
Dans Innocence, la scène la plus audacieuse du film est le piratage du ghost des protagonistes, qui se retrouvent bloqués dans une boucle temporelle, revivant toujours la même action à de légères différences près.
Le spectateur assite décontenancé à ces répétitions que la continuité rend dans un premier temps presque naturelles. Là se trouvent esquissées les limites de notre perception et de notre mémoire manipulables à souhait.
Cette mémoire, réceptacle capricieux et évolutif de notre réalité intime, de plus en plus assistée et dépendante de la technologie, parasitée par les réminiscences d'autres vies chez les kildrens de The Sky Crawlers, piratée et en bouillie chez les petites crapules de Ghost in the Shell, dont la conscience désormais peine à surnager. Un éboueur qui se rattache à une photo de sa femme et sa fille - en fait inexistantes - seule projection palpable d'un monde artificiel, sa réalité, qui s'écroule sous les révélations des membres de la section 9.

- Pas la peine de m'arrêter, de toute façon, je parlerai pas, sales flics !
- Parler ? Et de quoi pourrais-tu bien parler toi ? Tu ne sais même pas comment tu t'appelles, espèce d'abruti.
- ...
- Peux-tu te souvenir du nom de ta mère ou de son visage ? Tu sais où tu es né ? Dans quel pays ? As-tu des souvenirs d'enfance ? De tes amis ? Sais-tu seulement qui tu es ?

Dans Avalon, le lien entre le monde réel et l'héroïne Ash (cendre en anglais) disparaît petit-à-petit. Déjà pour elle la réalité se trouve ailleurs.
Lorsqu'elle s'extrait du jeu, ce n'est que pour contempler un monde aux teintes sépias, terne et immobile : les habitants qui l'occupent semblent sans âmes, figés dans le métro ou dans la rue, aux fenêtres des immeubles, contrastant avec le dynamisme du jeu (peut-être faut-il y voir une des raisons du choix d'Oshii de réaliser ce film en live plutôt qu'en animation, tant l'inconsistance de ces silhouettes immobiles - l'immobilité fait pleinement partie des codes et du style de l'animation japonaise - et la puissance des contrastes qu'il en tire s'en trouvent ici démultipliés).
Son basset (figure incontournable chez Oshii, qui représente souvent le reliquat du lien existant entre ses héros solitaires et la nature), l'un des derniers êtres qui la rattache à ce monde disparaît au milieu du film.
Cette inversion entre la vraie vie et le jeu chez Ash trouve son apogée lorsqu'elle réussit à pénétrer dans le niveau caché du jeu appelé "class real", elle y découvre non pas un univers fantaisiste comme dans les autres niveaux d'Avalon mais un monde tangible, plein de vie et d'animation, qui semble à même de combler le vide de sa "vraie" vie et tranche avec l'irréalité de cette dernière, ce niveau est filmé et rendu de manière quasi documentaire... simplement réaliste en fait.
C'est peut-être dans ce décalage ou cette nuance entre le "vrai" et le "réel" qu'il convient de chercher une des causes de la morosité des personnages d'Oshii.

Les documentaires scientifiques, à la poursuite de la la fiction

Dans un univers audiovisuel dont la croissance semble exponentielle, autant dans la quantité que dans la variété des genres, le spectateur est aujourd'hui sollicité de manière frénétique : ces dernières années ont vu l'émergence de nombreux nouveaux médias ainsi qu'une mutation accélérée des médias plus anciens, forcés d'évoluer rapidement pour ne pas sombrer dans un anonymat synonyme ici de disparition (dans ce contexte, utiliser un champ lexical darwinien ne semble pas dénué de tout sens).
Citons comme nouveaux médias les jeux-vidéos et internet, qui apportent avec eux une notion alors inédite, celle de l'interactivité.
L'ordinateur personnel ou ses dérivés ont peu à peu pris la place de la télévision ; internet propose à chacun de créer ses propres médias, avec un potentiel de distribution et de diffusion illimité et pour un coût modique.
Les médias classiques que sont la télévision ou le cinéma ont réagis de différentes manières : les téléviseurs et les dvds offrent aujourd'hui une qualité haute-définition, le laps de temps entre l'exploitation en salle et celle sur DVD a été réduite de manière notable et les systèmes de pay per view ont fait leur apparition, la dernière révolution qu'on nous impose, la 3D, envahit peu à peu les salles de cinéma et les salons.
Cette évolution n'affecte pas uniquement les tuyaux mais aussi le contenu : on peut noter l'émergence de la télé réalité ou des séries disposant d'un potentiel artistique propre à concurrencer le cinéma dont le précurseur en la matière est la chaîne câblée américaine HBO.

Face à ces imposantes armées en ordre de bataille, un genre télévisuel comme le documentaire scientifique doit lui aussi produire un effort adaptatif afin de continuer à submerger.
Ce type de documentaire, dont la mission première est la vulgarisation de concepts scientifiques, a dans une certaine mesure, toujours eu une narration ludique ou illustrative afin d'éveiller un spectateur parfois un peu réticent.
Mais dans l'emballement observable en ce moment, le documentaire scientifique semble adopter de plus en plus facilement des codes que l'on croyait il y a encore peu, réservés exclusivement à la fiction.
L'apparition des images de synthèse et surtout leur démocratisation (en terme de budget et de temps de calcul pour un rendu acceptable) ont peut-être été l'un des premiers éléments déclencheurs de ce glissement, ainsi le documentaire Sur La Terre Des Dinosaures produit par la BBC (chaîne qui tient un rôle majeur dans ce domaine) en 1999 semble lorgner directement sur le succès du film de Spielberg, Jurassic Park qui fut un des films de fiction pionniers dans l'utilisation de cette cette technologie.
Dans les deux cas, le choix des dinosaures comme sujet semble résulter avant tout d'une facilité à obtenir un rendu réaliste.
D'autres procédés empruntés à la fiction apparaissent aussi, comme l'abandon de l'habituelle voix off anonyme, remplacée par des narrateurs célèbres, parfois même face caméra lors de séquences introductives ou de transition. Citons Sam Neil (oui, celui de Jurassic Park) dans la série Hyperspace, également produite par la BBC, et qui se propose de nous faire découvrir les merveilles et curiosités de l'univers.
La mise en scène de ces séquences se révèle de plus en plus sophistiquée, comme dans le documentaire sur la mécanique quantique et la théorie des corde Ce qu'Enstein ne savait pas encore, présenté par le physicien vedette Brian Greene.
De manière générale, on constate une dramatisation de plus en plus importante, avec le recours systématique à la musique, levier dramatique essentiel, ou encore le choix de sujets qui font directement échos aux blockcbusters catastrophes hollywoodiens... un nombre conséquent de documentaire s'intéresse aux éruptions volcaniques ou aux météorites et aux conséquences apocalyptiques que la chute de l'une d'entre elles pourrait avoir sur la Terre.
La lecture de certains des titres de la série documentaire Superscience est éloquente : "Les astéroïdes tueurs" ou "La Terre en colère".
Mais l'inspiration dépasse largement le simple cadre du cinéma ainsi la série MythBusters de Discovery Channel met en scène des spécialistes en effets spéciaux censés user de "méthodes scientifiques" afin de démonter des mythes ou rumeurs véhiculés par le cinéma ou internet, cette série singe clairement la narration et les mécanismes qui sont en oeuvre dans les séries à succès sur la police scientifique (Les Experts, NCIS, ...).
On assiste ainsi à la fusion inévitable entre documentaire et fiction : le docu-fiction qui mélange les spécificités de chaque genre : en 2004 la BBC produit notamment Space Odyssey : Voyage To The Planets, qui raconte l'exploration de différentes planètes de notre système solaire par un vaisseau spatial avec à son bord cinq astronautes.
L'aspect "fictionnel" est des plus appuyés, avec par exemple la mort d'un des membres de l'équipage d'un cancer provoqué par les radiations solaires au cours du voyage.
Le personnage s'interdit toute chimiothérapie afin de ne pas contaminer l'eau commune, constamment recyclée.
Point final qui ponctue cet épisode, un plan de son cercueil flottant dans l'espace pour venir se mêler puis se confondre avec les multiples poussières et glaces qui composent les anneaux de Saturne.
L'aspect documentaire se limite lui à l'utilisation d'une voix-off (Antoine de Caunes dans la version française) qui nous accompagne tout au long de l'histoire afin de nous expliquer les spécificités des planètes visitées et les dangers encourus par les astronautes.
Dernier né de ces fusions, le mélange entre télé-réalité et documentaire scientifique, comme la série néo-zélandaise One Land qui plonge trois familles actuelles dans les conditions de vie du XIXe siècle.

S'il ne faut pas non plus éluder leur apport à une meilleure compréhension de concepts abstraits, tous ces procédés empruntés à la fiction (on aurait pu ajouter la personnification de plus en plus prononcée des animaux dans les documentaires animaliers, où l'on baptise maintenant les animaux sauvages avec des noms fictifs, et où les interactions sociales sont couramment amalgamées avec les nôtres), cette recherche d'une esthétique spectaculaire, cette dramatisation excessive de la science, interpellent quant à la pertinence de leur utilisation massive dans un tel cadre et semblent symptomatiques de la course aux armements perpétuelle qui se joue dans le domaine de la narration visuelle.

À propos de Mel Gibson

Acteur déjà, les choix d'interprétation de Mel Gibson semblaient guidés par une notion toute catholique de la vertu sacrificielle.
Cette vison de la souffrance physique, de l'acceptation de la douleur comme voie vers une rédemption ou vers une élévation spirituelle et morale tient chez lui beaucoup de la caricature, voire du fanatisme.
Son personnage de Martin Riggs dans la série Lethal Weapon en est un exemple frappant (...) :
Dans ces films de Richard Donner qui prônent une défense musclée des valeurs familiales contre divers maux de la société (mafias, drogues, corruption, pornographie, ...), Riggs est introduit comme un jeune veuf dévasté qui lutte chaque jour contre le suicide (les trois premières scènes d'action le montrent respectivement affronter à découvert un tireur isolé qui tire sur des enfants avant de lui vider un chargeur entier dessus, une arrestation solitaire de dealers de cocaïne, quand l'un d'entre eux le braque par surprise, Riggs répète compulsivement "Tue-moi ! Tue-moi !", puis le sauvetage d'un suicidaire qui menace de sauter d'un immeuble, Riggs le rejoint et se menotte à lui par surprise, devant les menaces réitérées de l'homme, Riggs le force à sauter avec lui, ils atterrissent finalement sur un tapis gonflable déployé par la police.
Riggs entretient un rapport pathologique à la douleur, c'est même le ciment de la série (on peut notamment le voir se faire torturer ou se remettre lui-même une épaule déboîtée)... Dans le troisième volet de la série, on assiste ainsi à une étrange scène de séduction entre Riggs et Lorna Cole (Rene Russo), qui les montrent, exhibant leurs multiples cicatrices et stigmates en même temps qu'ils se déshabillent.

Dans Payback de Bryan Helgeland, le remake de Point Blank (au passage produit par Icon (...), sa maison de production), son personnage n'a plus grand chose à voir avec celui de Lee Marvin... beaucoup moins sombre, il tient plus de la relecture du Riggs des Lethal Weapon, Payback détourne l'oeuvre de Boorman pour n'offrir que de longues séquences d'un masochisme placide et déterminé (le scénario lui fournit un étrange pendant féminin en la personne de Pearl interprétée par Lucy Lui, experte en sadomasochisme).
Porter semble rechercher dans la douleur physique un sens nouveau à sa vie dévastée.
Il y est décrit comme une figure christique déviante : avec une certaine ironie une des premières scènes montre Porter prendre l'argent d'un sans abris qui fait la manche en se prétendant infirme, quand ce dernier se lève pour protester, Porter lui assène un coup avant de dire "Ta gueule, je t'ai guéri".

Sa première réalisation, Braverheart, raconte l'histoire de William Wallace, héros écossais qui résista au roi anglais Edouard Ier.
Plutôt poussif et emphatique, le film est surtout remarquable dans sa description des batailles moyennageuses, filmées avec une fureur et un réalisme inconnus jusqu'alors mais qui feront école et serviront incontestablement de nouvelle référence visuelle dans ce domaine.
Là aussi, Gibson fait de William Wallace une figure quasi-christique, qui se sacrifie pour le bien de sa communauté, et qui, capturé, se retrouve torturé les bras en croix devant une foule prise en pitié. Avec une mise en scène et le jeu tout en nuances qui le caractérisent (...), on l'entend finalement crier "Liberté" avant d'être achevé.

Avec sa version de La Passion du Christ, Gibson enfonce encore plus le clou (...) ; on peut tracer un parallèle entre son style de jeu et sa mise en scène ou son écriture, tous sont sans aucune subtilité, outrageusement démonstratifs. Mais il convient de lui reconnaître un sens certain et acharné de la fureur.
La grande idée du film est d'avoir tourné le film dans les langues originelles des protagonistes, à savoir le latin et l'araméen. Malheureusement, elle semble ici devoir servir une légitimité ou un réalisme revendiqués par Gibson alors que son film n'est au final qu'une boursouflure outrancière, développant une imagerie biblique pauvre et de mauvais goût.
Là sont les limites de Gibson, incapable de tenir un discours solide en terme de spiritualité, il préfère se réfugier dans une violence haineuse, aussi démonstrative qu'inefficace, avec un premier degré et une virulence sordides.

Apocalypto, sa dernière réalisation en date, raconte la fin de la civilisation Maya. Sa mise en scène, si elle est toujours grossière, laisse néanmoins apparaître quelques morceaux de bravoures, notamment la scène de l'arrivée dans la capitale, qui avec un montage haché au rythme binaire et un découpage de l'espace qui laisse le spectateur sans repère, désorienté, figure bien l'état mental des esclaves apeurés.
La fin, atterrante dans sa signification, nous montre au loin un galion espagnol, on comprend dès lors la finalité d'un tel projet, non plus de raconter le déclin d'une civilisation mais sa décadence. Ce presque Deus Ex Machina est lourd de sens et semblerait presque nous suggérer le caractère divin et naturel de la disparition de cette civilisation "païenne". Quand on connaît la courte et violente histoire commune entre espagnols et mayas, la suggestion est sidérante, mais significative d'une montée du fanatisme religieux, aux Etats-Unis et dans le reste du monde, un obscurantisme qui s'il se réfugie encore derrière ses livres sacrés, semble parfois avoir du mal à en saisir l'essence.

The Invention of Lying

Film de Rick Gervais et Matthew Robinson, The Invention of Lying ressuscite une certaine idée des comédies américaines qu'on pensait presque éteinte, de celles qui mélangeaient habilement le fantastique à un quotidien banal, pour mieux en faire ressortir les rouages et ainsi en extraire la délicate absurdité.
On pense notamment à Harold Ramis, Robert Zemeckis, Ivan Reitman ou dans un style encore plus mordant, Joe Dante.
Aujourd'hui, ce genre semble presque sans héritier à Hollywood, si ce n'est peut-être le médiocre et réactionnaire Idiocracy ou le moraliste Bruce Almighty.
La comédie américaine semble avoir pris un autre tournant avec l'avènement de figures comme les frères Farelly, Ben Stiller, Adam Sandler, Will Ferrell, Judd Appatow, ...
S'ils participent tous à un même mouvement qu'on pourrait qualifier peut-être un peu facilement de régressif, on peut essayer d'en distinguer deux branches, celle des Farelly et de Ben Stiller qui se caractérise par le dynamitage systématique des règles de la comédie américaine et une dérision appuyée jusqu'à l'absurde dans la relecture qu'elle en livre, ses créateurs rappelant l'image d'un enfant qui démonte un jouet afin de mieux en appréhender le fonctionnement, jouissant au final tout autant de la destruction de l'objet que de sa nouvelle compréhension.
L'autre branche, a accouché d'une réflexion plus auto-centrée, toute aussi déjantée mais non dépourvue de mélancolie (Adventureland), de distanciation ou de gravité (Funny People).
Mais l'observation ironique de l'American Way of Life a laissé place à une douce introspection de la part de ces Peter Pan, qui recyclent les mêmes personnages nurds que dans les teen-movies d'où ils semblent puiser leurs sources, mais désormais un peu plus écartelés par leurs contradictions au sein de ce monde d'adultes.

Le postulat brillant de The Invention of Lying, l'invention du mensonge dans un monde où cette notion n'existe pas, permet au film de s'articuler autour de deux axes principaux, tout d'abord la description presque sociologique d'un tel monde, permettant surtout, à la manière des comédies dont il se veut l'héritier d'offrir un point de vue décalé et ludique sur notre société, ici l'hypocrisie quotidienne nécessaire et le vernis culturel que nous nous efforçons d'appliquer afin de cacher, au moins de manière superficielle, les frustrations diverses qu'engendrent les relations sociales.
Dans la seconde moitié du film, le traitement de la création du mensonge permet de recentrer habilement l'histoire sur une étude amusée de la fiction et de ses nombreuses composantes.
L'amalgame entre fiction et mensonge paraît dans un premier temps un peu rapide ; Gervais et Robinson opposent de manière troublante la fiction à l'Histoire, substituant le cinéma par des lectures de récits historiques, les scénaristes sont ici de scrupuleux archivistes, chacun spécialisé dans une période précise... aucune mise en scène (ou presque) dans leur restitution, les scénarios sont lus par des lecteurs, l'équivalent de nos stars de cinéma, assis sur un simple fauteuil et filmés en plan fixe, tout artifice est exclu.
Le héros, lui-même scénariste spécialisé dans le XIVe siècle, invente alors une histoire sensée se dérouler au début de ce même siècle, synthèse jouissive de nos récits cinématographiques, mêlant extra-terrestres, armée ninja, robot dinosaure, et amazones nues de l'espace.
Il se raccorde ensuite à l'Histoire par une pirouette, un effacement des mémoires des protagonistes de sa chronique.
Car si nos récits romanesque ne sont pour nous pas des mensonges, ils le sont dans une société qui ignore jusqu'à l'existence d'une telle notion.
C'est ici notre position de spectateur par rapport à la fiction qui est interrogée, fiction qui nous place tantôt dans un rôle de complice amusé, tantôt dans celle de victime abusée.
S'ils nous placent d'abord dans la confortable situation de complices, Gervais et Robinson achèvent leur démonstration en développant ensuite une situation où nous sommes cette fois-ci les victimes de la fiction ; en effet, quand le héros en cherchant à rassurer sa mère sur son lit de mort, invente sans vraiment le vouloir la religion, ce n'est désormais plus les habitants de ce monde sans mensonge qui sont moqués.

Les contrebandiers

Un auteur en cinéma peut se définir succinctement par l'existence d'un tissu analytique entre toutes ou une partie de ses films ou œuvres en rapport avec le cinéma.
C'est aux personnes réfléchissant sur le cinéma qu'il convient de mettre en relief ce lien, cette redondance dans le discours qu'on pourrait éclater en de multiples composantes ; esthétiques, narratives, thématiques, ...
Toutes semblent - à des degrés divers - nécessaires mais pas suffisantes ... le formalisme semble aussi essentiel dans le cinéma qu'un parti pris plus fondamental ... sans qu'on parle forcément de style, paravent sous lequel aime bien s'abriter le critique ... on parlera plus d'une maîtrise ou d'une conscience de la grammaire cinématographique et de ses spécificités par rapport à d'autres grammaires visuelles ou narratives.
Ainsi au cinéma, le statut d'auteur découle d'une relation multilatérale qui s'établit d'une part entre un cinéaste au sens le plus large possible et ses créations et d'autre part le spectateur.

Le tout n'est pas sans effets pervers, puisque dès lors que ce lien est établit, il offre souvent un angle de vue limité et même tronqué si l'on s'en contente.
Le statut d'auteur ne doit pas être considéré comme un facteur discriminant permettant de délimiter distinctement deux catégories qu'on définirait grossièrement comme étant d'un côté des artistes et de l'autre des techniciens ou artisans, comme le fait Louis Delluc en définissant le terme de "cinéaste", notion préfigurant déjà celle plus tardive d'"auteur".
En effet de par ses mécanismes de création, pluriels et industriels, ses impératifs commerciaux, le cinéma peut difficilement se contenter d'être observé sous ce seul spectre, tant il semble assujettie à de nombreuses contraintes (principalement d'ordre artistique ou financier) qui vont en quelque sorte modeler voire bruiter le discours en amont des divers protagonistes à l'élaboration d'un film.
Échappant à ce cadre, la liberté artistique et de moyens d'un auteur avéré comme Stanley Kubrick reste une exception.

Il existe à Hollywood et ailleurs, des réalisateurs, scénaristes, producteurs qui dépassent cette approche à mon goût trop rigide et théorique pour s'appliquer pleinement dans le cadre du cinéma.
Des gens qui au sein d'un système de production industrielle de médias de divertissement, essayent tant bien que mal de se réapproprier ces médias, d'y injecter des éléments qui n'appartiennent pas au cahier des charges initial ou d'en détourner d'autres, et qui aussi insignifiants soient-ils représentent un symbole de résistance interne, l'illustration d'une expression personnelle par opposition à une bouillie narrative, idéologiquement correcte, formatée et creuse, une véritable insulte au public, et qu'on ne cesse de nous resservir jusqu'à écœurement.
Plus qu'ailleurs, faire du cinéma à Hollywood est un combat (les facilités financières ne compensant en rien le manque de liberté artistique, au contraire, la contrainte de rentabilité semble encore plus alourdir le processus), plus qu'ailleurs la notion d'auteur y est fragile, mais c'est dans cette volatilité que semble s'esquisser une nouvelle forme d'expression.

Le rapport à l'Histoire dans le cinéma de Ridley Scott

L'Histoire, les figures et évènements qui la parcourent, occupent une place de choix dans la seconde moitié de la filmographie de Ridley Scott, on peut faire ressortir cinq films, soit dans l'ordre chronologique de production : 1492, Christophe Colomb, Gladiator, La Chute du faucon noir, Kingdom of Heaven et enfin Robin des Bois.

On peut aussi opérer une dichotomie au sein de ces films en séparant du reste 1492 et La Chute du faucon noir ... en effet, ces deux films se présentent comme des reconstitutions à part entière d'évènements historiques, soulevant de facto et avec une certaine légitimité la question de la véracité des faits et du point de vue adopté.
La fiction, surtout hollywoodienne, ne devrait jamais prétendre à un statut aussi frontal de reconstitution historique, tant ses mécanismes internes paraissent être en totale contradiction avec ceux des sciences humaines.
D'ailleurs, les deux films se perdent dans cette insoluble problématique, particulièrement La Chute du faucon noir, où la mise en scène se fourvoie dans un spectaculaire qu'on sent en grande partie inspiré par les techniques créées par Steven Spielberg et Janusz Kaminski pour le film Il faut sauver le soldat Ryan et dans un scénario qui accumule sans aucune distanciation les dialogues douteux dans la bouche de soldats américains dont la réputation en terme d'ouverture sur les cultures étrangères et de compréhension des subtilités des mécanismes de la géopolitique mondiale n'est plus à faire.

Avec Gladiator, Kingdom of Heaven et Robin des Bois, le rapport à l'histoire se veut beaucoup moins étroit :
Gladiator et Robin des Bois sont des films d'action qui érigent un personnage mythique au sein d'un contexte historique où la véracité n'a dès lors plus aucune importance ... seule comptant la dimension dramatique ... portée par ces personnages symboles d'un idéal de justice, qui tranchent d'autant plus avec leur entourage qu'ils n'ont aucune existence historique réelle ou avérée ... (dans Gladiator, comme dans Kingdom of Heaven, les héros refusent le pouvoir qui leur est offert (et la postérité qui l'accompagne), ce refus pointe autant la droiture et le désintéressement des personnages que leur dimension non-historique ... une frontière infranchissable entre eux et Marc Aurèle ou Baudoin IV, figures historiques, même si Balian d'Ibelin a réellement existé et défendu Jérusalem, son histoire est toute autre que celle du forgeron du film).
Gladiator est une tentative plutôt agréable de mise au goût du jour du Péplum, le film ne se situe pas dans un rapport à l'Histoire mais plus sûrement dans la continuité d'un genre cinématographique qu'il entend dépoussiérer et confronter aux nouvelles technologies.
Dans le cas de Robin des Bois, l'aspect légendaire est encore plus habilement mis en valeur grâce à cette figure qui appartient autrement plus au cadre du cinéma qu'à l'Histoire (Le traitement du film dans sa globalité semble obéir à une volonté d'opposition à un référentiel purement cinématographique, voir par exemple le personnage de Richard Coeur de Lion, au passage trait d'union plutôt étrange entre Kingdom of Heaven et Robin des Bois).
On pense notamment à la référence faite au père de Robin, tailleur de pierre exécuté pour avoir gravé un texte réclamant une plus grande égalité entre les hommes ... Robin devant dès lors être perçu comme l'héritage de cet homme ... un idéal.

Concernant Kingdom of Heaven, le film demande surtout à être vu dans le contexte des guerres post-11 septembre menées conjointement par les Etats-Unis et leurs alliés, en Afghanistan puis en Irak.
En prenant le parti de dénoncer un fanatisme religieux et belliqueux, le film vise avant tout les extrémistes des deux côtés des belligérants, une réponse directe à la "croisade du Bien contre le Mal" de Georges W. Bush.
Souvent de manière emphatique, le film caricature quasi-systématiquement toutes les figures religieuses : le demi-frère de Balian, prêtre haineux et jaloux, l'évêque de Jérusalem ou le conseiller religieux de Saladin. On pourrait ajouter à cette liste, le pape mais d'une manière plus indirecte, notamment lors du voyage, en route vers Messine, où un prédicateur illuminé scande les paroles du pape : "tuer un infidèle n'est pas un meurtre, mais le chemin vers le paradis".
A l'opposé, toutes les scènes de combat sont filmées avec une certaine gravité ... loin de phagocyter la narration du film car souvent traitées de manière elliptique (la bataille de Hattin dont on nous montre seulement le charnier final ou le plan séquence elliptique lors de l'assaut des remparts de Jérusalem qui voit la caméra s'élever de la masse grouillante des combattants pour ne finalement montrer, par un fondu numérique, que les corps gisants après l'affrontement ... les teintes colorées du début du plan laissant place à un bleu plus froid et le mouvement se dissipant lentement) ou bien seulement en quelques plans symboliques (l'assaut d'une caravane par Renaud de Chatillon et Guy de Lusignan où l'on voit uniquement le visage de ce dernier éclaboussé du sang des victimes de son épée).

L'Attaque du Métro 123

- Êtes-vous des terroristes ?

-C'est ton impression ?
Je te terrorise ?

- Pas vraiment.
Mais j'ai jamais parlé à un terroriste.
C'est qu'une question d'argent ?

- Y a plus important ?

Pas franchement réussi, L'Attaque du Métro 123 de Tony Scott a surtout la particularité de proposer un point de vue en rupture avec le cinéma américain post-11 septembre.
Pratiquement complètement épurée de ce traumatisme collectif, la trame du film n'oublie néanmoins pas d'y faire allusion, ainsi le cadre new-yorkais et la prise d'otage sont des réminiscences claires de cet évènement, mais ce n'est cette fois-ci plus pour perpétuer ce qui fût le principale moteur dramatique et narratif du cinéma américain de ces dix dernières années mais, par un effet de comparaison sûrement discutable, pour mieux montrer du doigt "les nouveaux terroristes".

Il n'y a plus aucune gravité dans le rapport au 11 septembre, notamment avec le maire, caricature cynique et désabusée de l'homme politique :
- J'ai laissé mon costume de Rudy Giulani chez moi
Plus aucune mélancolie dans les plans des grattes-ciels new-yorkais, amputés de leurs deux tours ; filmés nerveusement lors du générique de début, puis lors d'une scène en hélicoptère :
- C'est sympa vu d'ici, hein ? ... On voit pourquoi on se bat
Cette dernière phrase résume à elle seule l'impression que veut donner le film ... que les deux tours, si elles restent un repère invisible de par leur absence, n'ont plus maintenant la même place dans les préoccupations quotidiennes. La plaie est cicatrisée.
A la fin, après le dénouement, Tony Scott filme ces mêmes buildings, mais cette fois-ci dépouillée de ses effets clipesques habituels, de manière sereine et sans faire transparaitre d'autres sentiments qu'un simple retour à la normale.

D'un soucis l'autre donc ... Dans ce contexte de crise financière mondiale, il semblerait que ce soit désormais les marchés financiers et leurs tenanciers qui remplacent les terroristes islamistes au hit-parade des préoccupations populaires.

Le preneur d'otage (John Travolta) est un ancien trader pour qui la rançon exigée de dix millions de dollars n'est qu'un leurre, le véritable hold-up s'effectuant à travers les positions prises par anticipation aux réactions négatives du marché à la prise d'otage ... à la fin du film, on voit fugitivement apparaître la somme de trois cent millions de dollars sur son ordinateur.
Face à lui, un employé du métro new-yorkais (Denzel Washington) en plein procès pour avoir accepté trente cinq mille dollars de pots-de-vin pour financer les études de ses deux enfants.
C'est par cette quantification que le film nous montre le gouffre qui sépare les deux personnages, exprimant l'incompréhension d'une population face aux chiffres vertigineux qu'elle peut docilement voir défiler tous les jours dans les médias.

Duel dans le Pacifique, Enemy

Wolfgang Petersen a finalement un peu à voir avec John Boorman ; leurs filmographies, toutes deux éclectiques, offrent une rare richesse quant aux genres abordés, tout en conservant toujours une certaine cohérence ... une ligne directrice dont ils s'écartent parfois pour mieux y revenir plus tard.

Ainsi, dans le cinéma de John Boorman, l'homme semble constamment écartelé entre nature et civilisation.
Avançant à marche forcée, mais ne pouvant s'empêcher de se retourner ... continuellement, saisi par la beauté et la violence d'un monde ancien qu'il enterre un peu plus à chaque pas en avant.
John Boorman n'a eu de cesse de replacer ses personnages dans cette nature à laquelle ils ont tourné le dos il y a bien longtemps, et qui leur semble désormais hostile et étrangère tout en éveillant progressivement chez eux un sentiment quasi-érotique, une attraction et un désir de fusion à son égard.
A son contact violent, les hommes changent, d'abord contraints puis envoutés par cette renaissance qui leur est offerte.
Citons Duel dans le Pacifique, La Forêt d'émeraude, Excalibur, Délivrance mais aussi de manière moins évidente La Guerre à sept ans ou Le Général ... ces deux films s'ils ne racontent pas de manière directe cette confrontation brutale, adoptent le point de vue presque déviant de héros en marge de la société : Bill, jeune londonien pour qui les ruines des bombardements de la seconde guerre mondiale deviennent un terrain de jeu géant ou Martin Cahill, bandit malicieux qui vit en dehors de toutes les normes en rigueur, pourchassé de toute part car trop libre. Ces deux personnages se distinguent du reste de leur entourage car non (encore) formatés par la société.

Chez Wolfgang Petersen, si l'on retrouve la relation à la nature, cette dernière se révèle rapidement bien trop écrasante et supérieure ... dans bon nombre de ses films, Petersen décrit des naufragés : Le Bateau, Enemy, En Pleine tempête, Poséidon.
Les personnages sont ici confrontés à une force qui leur est supérieure en tout, livrés à eux-mêmes et réduits à subir ses assauts, nus car isolés du reste d'une humanité au pire arrogante, au mieux inconsciente.
Il convient cependant de reconnaître que la nature ne joue pas chez Petersen le rôle primordial qu'elle occupe chez Boorman, elle fait ici plus office d'isolant, permettant ainsi de faire ressortir les différentes facettes de l'être humain mis en présence de la fatalité d'une situation extrême.

Ces deux univers cinématographiques se croisent l'espace de deux films précédemment cités : Duel dans le Pacifique, pur chef d'œuvre de Boorman et Enemy de Petersen, qui prend d'abord l'apparence d'un parfait remake de Duel dans le Pacifique pour mieux s'en éloigner plus tard.
Les deux prennent pour cadre une guerre ; la seconde guerre mondiale pour Duel dans le Pacifique, et une guerre inter-planétaire entre humains et dracs, une race extra-terrestre dans Enemy et font se rencontrer deux pilotes de chasse ennemis, écrasés sur une île / planète déserte.
La tension dramatique se tisse dans ce contraste entre d'un côté ce choc culturel, cette barrière des langues qui force les malentendus et la méfiance et de l'autre la nécessité de s'entraider pour survivre dans un environnement inhospitalier, mais surtout le besoin de l'autre sans qui la survie serait un non-sens.
Dans Duel dans le Pacifique, les deux pilotes, japonais (Toshiro Mifune) et américain (Lee Marvin), sans jamais comprendre la langue de l'autre, réussissent à s'entendre et s'extirper de l'île en construisant un radeau.
Atterrissant dans un camps abandonné, les deux personnages voient leur unité disparaître en même temps que ressurgissent les réalités de la guerre et l'antagonisme de leurs sociétés respectives.
Si dans la fin imposée par les producteurs les deux personnages meurent dans un bombardement, Boorman voulait sceller cette incompréhension retrouvée en les laissant brouillés l'un avec l'autre, chacun partant de son côté.
A contrario, dans Enemy, l'humain (Denis Quaid) et le drac (Louis Gosset Jr) apprendront la langue de l'autre, et dans une temporalité qui éclate en même temps que les aprioris, on verra le pilote drac mourir en donnant naissance à un enfant, que l'humain se chargera d'élever puis de secourir lorsque celui-ci sera capturé par des humains.
Si la cohérence et le génie sont du côté de Boorman, pour qui la nature permet de révéler chez l'homme ce que la société s'évertue à gommer, le film de Petersen n'en reste pas moins une agréable curiosité, peut-être naïve dans son propos mais offrant en même temps qu'un hommage appuyé, un joli pied-de-nez à son modèle.

Le dernier plan du dernier film (en cours)

#ledernierplandudernierfilm

Billy Wilder - Buddy Buddy

Howard Hawks - Rio Lobo

Sam Peckinpah - The Osterman Weekend

Stanley Kubrick - Eyes Wide Shut

Charlie Chaplin - A Countess from Hong Kong

Sergio Leone - Once Upon a Time in America

John Huston - The Dead

Sleuth - Joseph L. Mankiewicz