The Invention of Lying

Film de Rick Gervais et Matthew Robinson, The Invention of Lying ressuscite une certaine idée des comédies américaines qu'on pensait presque éteinte, de celles qui mélangeaient habilement le fantastique à un quotidien banal, pour mieux en faire ressortir les rouages et ainsi en extraire la délicate absurdité.
On pense notamment à Harold Ramis, Robert Zemeckis, Ivan Reitman ou dans un style encore plus mordant, Joe Dante.
Aujourd'hui, ce genre semble presque sans héritier à Hollywood, si ce n'est peut-être le médiocre et réactionnaire Idiocracy ou le moraliste Bruce Almighty.
La comédie américaine semble avoir pris un autre tournant avec l'avènement de figures comme les frères Farelly, Ben Stiller, Adam Sandler, Will Ferrell, Judd Appatow, ...
S'ils participent tous à un même mouvement qu'on pourrait qualifier peut-être un peu facilement de régressif, on peut essayer d'en distinguer deux branches, celle des Farelly et de Ben Stiller qui se caractérise par le dynamitage systématique des règles de la comédie américaine et une dérision appuyée jusqu'à l'absurde dans la relecture qu'elle en livre, ses créateurs rappelant l'image d'un enfant qui démonte un jouet afin de mieux en appréhender le fonctionnement, jouissant au final tout autant de la destruction de l'objet que de sa nouvelle compréhension.
L'autre branche, a accouché d'une réflexion plus auto-centrée, toute aussi déjantée mais non dépourvue de mélancolie (Adventureland), de distanciation ou de gravité (Funny People).
Mais l'observation ironique de l'American Way of Life a laissé place à une douce introspection de la part de ces Peter Pan, qui recyclent les mêmes personnages nurds que dans les teen-movies d'où ils semblent puiser leurs sources, mais désormais un peu plus écartelés par leurs contradictions au sein de ce monde d'adultes.

Le postulat brillant de The Invention of Lying, l'invention du mensonge dans un monde où cette notion n'existe pas, permet au film de s'articuler autour de deux axes principaux, tout d'abord la description presque sociologique d'un tel monde, permettant surtout, à la manière des comédies dont il se veut l'héritier d'offrir un point de vue décalé et ludique sur notre société, ici l'hypocrisie quotidienne nécessaire et le vernis culturel que nous nous efforçons d'appliquer afin de cacher, au moins de manière superficielle, les frustrations diverses qu'engendrent les relations sociales.
Dans la seconde moitié du film, le traitement de la création du mensonge permet de recentrer habilement l'histoire sur une étude amusée de la fiction et de ses nombreuses composantes.
L'amalgame entre fiction et mensonge paraît dans un premier temps un peu rapide ; Gervais et Robinson opposent de manière troublante la fiction à l'Histoire, substituant le cinéma par des lectures de récits historiques, les scénaristes sont ici de scrupuleux archivistes, chacun spécialisé dans une période précise... aucune mise en scène (ou presque) dans leur restitution, les scénarios sont lus par des lecteurs, l'équivalent de nos stars de cinéma, assis sur un simple fauteuil et filmés en plan fixe, tout artifice est exclu.
Le héros, lui-même scénariste spécialisé dans le XIVe siècle, invente alors une histoire sensée se dérouler au début de ce même siècle, synthèse jouissive de nos récits cinématographiques, mêlant extra-terrestres, armée ninja, robot dinosaure, et amazones nues de l'espace.
Il se raccorde ensuite à l'Histoire par une pirouette, un effacement des mémoires des protagonistes de sa chronique.
Car si nos récits romanesque ne sont pour nous pas des mensonges, ils le sont dans une société qui ignore jusqu'à l'existence d'une telle notion.
C'est ici notre position de spectateur par rapport à la fiction qui est interrogée, fiction qui nous place tantôt dans un rôle de complice amusé, tantôt dans celle de victime abusée.
S'ils nous placent d'abord dans la confortable situation de complices, Gervais et Robinson achèvent leur démonstration en développant ensuite une situation où nous sommes cette fois-ci les victimes de la fiction ; en effet, quand le héros en cherchant à rassurer sa mère sur son lit de mort, invente sans vraiment le vouloir la religion, ce n'est désormais plus les habitants de ce monde sans mensonge qui sont moqués.

Les contrebandiers

Un auteur en cinéma peut se définir succinctement par l'existence d'un tissu analytique entre toutes ou une partie de ses films ou œuvres en rapport avec le cinéma.
C'est aux personnes réfléchissant sur le cinéma qu'il convient de mettre en relief ce lien, cette redondance dans le discours qu'on pourrait éclater en de multiples composantes ; esthétiques, narratives, thématiques, ...
Toutes semblent - à des degrés divers - nécessaires mais pas suffisantes ... le formalisme semble aussi essentiel dans le cinéma qu'un parti pris plus fondamental ... sans qu'on parle forcément de style, paravent sous lequel aime bien s'abriter le critique ... on parlera plus d'une maîtrise ou d'une conscience de la grammaire cinématographique et de ses spécificités par rapport à d'autres grammaires visuelles ou narratives.
Ainsi au cinéma, le statut d'auteur découle d'une relation multilatérale qui s'établit d'une part entre un cinéaste au sens le plus large possible et ses créations et d'autre part le spectateur.

Le tout n'est pas sans effets pervers, puisque dès lors que ce lien est établit, il offre souvent un angle de vue limité et même tronqué si l'on s'en contente.
Le statut d'auteur ne doit pas être considéré comme un facteur discriminant permettant de délimiter distinctement deux catégories qu'on définirait grossièrement comme étant d'un côté des artistes et de l'autre des techniciens ou artisans, comme le fait Louis Delluc en définissant le terme de "cinéaste", notion préfigurant déjà celle plus tardive d'"auteur".
En effet de par ses mécanismes de création, pluriels et industriels, ses impératifs commerciaux, le cinéma peut difficilement se contenter d'être observé sous ce seul spectre, tant il semble assujettie à de nombreuses contraintes (principalement d'ordre artistique ou financier) qui vont en quelque sorte modeler voire bruiter le discours en amont des divers protagonistes à l'élaboration d'un film.
Échappant à ce cadre, la liberté artistique et de moyens d'un auteur avéré comme Stanley Kubrick reste une exception.

Il existe à Hollywood et ailleurs, des réalisateurs, scénaristes, producteurs qui dépassent cette approche à mon goût trop rigide et théorique pour s'appliquer pleinement dans le cadre du cinéma.
Des gens qui au sein d'un système de production industrielle de médias de divertissement, essayent tant bien que mal de se réapproprier ces médias, d'y injecter des éléments qui n'appartiennent pas au cahier des charges initial ou d'en détourner d'autres, et qui aussi insignifiants soient-ils représentent un symbole de résistance interne, l'illustration d'une expression personnelle par opposition à une bouillie narrative, idéologiquement correcte, formatée et creuse, une véritable insulte au public, et qu'on ne cesse de nous resservir jusqu'à écœurement.
Plus qu'ailleurs, faire du cinéma à Hollywood est un combat (les facilités financières ne compensant en rien le manque de liberté artistique, au contraire, la contrainte de rentabilité semble encore plus alourdir le processus), plus qu'ailleurs la notion d'auteur y est fragile, mais c'est dans cette volatilité que semble s'esquisser une nouvelle forme d'expression.

Le rapport à l'Histoire dans le cinéma de Ridley Scott

L'Histoire, les figures et évènements qui la parcourent, occupent une place de choix dans la seconde moitié de la filmographie de Ridley Scott, on peut faire ressortir cinq films, soit dans l'ordre chronologique de production : 1492, Christophe Colomb, Gladiator, La Chute du faucon noir, Kingdom of Heaven et enfin Robin des Bois.

On peut aussi opérer une dichotomie au sein de ces films en séparant du reste 1492 et La Chute du faucon noir ... en effet, ces deux films se présentent comme des reconstitutions à part entière d'évènements historiques, soulevant de facto et avec une certaine légitimité la question de la véracité des faits et du point de vue adopté.
La fiction, surtout hollywoodienne, ne devrait jamais prétendre à un statut aussi frontal de reconstitution historique, tant ses mécanismes internes paraissent être en totale contradiction avec ceux des sciences humaines.
D'ailleurs, les deux films se perdent dans cette insoluble problématique, particulièrement La Chute du faucon noir, où la mise en scène se fourvoie dans un spectaculaire qu'on sent en grande partie inspiré par les techniques créées par Steven Spielberg et Janusz Kaminski pour le film Il faut sauver le soldat Ryan et dans un scénario qui accumule sans aucune distanciation les dialogues douteux dans la bouche de soldats américains dont la réputation en terme d'ouverture sur les cultures étrangères et de compréhension des subtilités des mécanismes de la géopolitique mondiale n'est plus à faire.

Avec Gladiator, Kingdom of Heaven et Robin des Bois, le rapport à l'histoire se veut beaucoup moins étroit :
Gladiator et Robin des Bois sont des films d'action qui érigent un personnage mythique au sein d'un contexte historique où la véracité n'a dès lors plus aucune importance ... seule comptant la dimension dramatique ... portée par ces personnages symboles d'un idéal de justice, qui tranchent d'autant plus avec leur entourage qu'ils n'ont aucune existence historique réelle ou avérée ... (dans Gladiator, comme dans Kingdom of Heaven, les héros refusent le pouvoir qui leur est offert (et la postérité qui l'accompagne), ce refus pointe autant la droiture et le désintéressement des personnages que leur dimension non-historique ... une frontière infranchissable entre eux et Marc Aurèle ou Baudoin IV, figures historiques, même si Balian d'Ibelin a réellement existé et défendu Jérusalem, son histoire est toute autre que celle du forgeron du film).
Gladiator est une tentative plutôt agréable de mise au goût du jour du Péplum, le film ne se situe pas dans un rapport à l'Histoire mais plus sûrement dans la continuité d'un genre cinématographique qu'il entend dépoussiérer et confronter aux nouvelles technologies.
Dans le cas de Robin des Bois, l'aspect légendaire est encore plus habilement mis en valeur grâce à cette figure qui appartient autrement plus au cadre du cinéma qu'à l'Histoire (Le traitement du film dans sa globalité semble obéir à une volonté d'opposition à un référentiel purement cinématographique, voir par exemple le personnage de Richard Coeur de Lion, au passage trait d'union plutôt étrange entre Kingdom of Heaven et Robin des Bois).
On pense notamment à la référence faite au père de Robin, tailleur de pierre exécuté pour avoir gravé un texte réclamant une plus grande égalité entre les hommes ... Robin devant dès lors être perçu comme l'héritage de cet homme ... un idéal.

Concernant Kingdom of Heaven, le film demande surtout à être vu dans le contexte des guerres post-11 septembre menées conjointement par les Etats-Unis et leurs alliés, en Afghanistan puis en Irak.
En prenant le parti de dénoncer un fanatisme religieux et belliqueux, le film vise avant tout les extrémistes des deux côtés des belligérants, une réponse directe à la "croisade du Bien contre le Mal" de Georges W. Bush.
Souvent de manière emphatique, le film caricature quasi-systématiquement toutes les figures religieuses : le demi-frère de Balian, prêtre haineux et jaloux, l'évêque de Jérusalem ou le conseiller religieux de Saladin. On pourrait ajouter à cette liste, le pape mais d'une manière plus indirecte, notamment lors du voyage, en route vers Messine, où un prédicateur illuminé scande les paroles du pape : "tuer un infidèle n'est pas un meurtre, mais le chemin vers le paradis".
A l'opposé, toutes les scènes de combat sont filmées avec une certaine gravité ... loin de phagocyter la narration du film car souvent traitées de manière elliptique (la bataille de Hattin dont on nous montre seulement le charnier final ou le plan séquence elliptique lors de l'assaut des remparts de Jérusalem qui voit la caméra s'élever de la masse grouillante des combattants pour ne finalement montrer, par un fondu numérique, que les corps gisants après l'affrontement ... les teintes colorées du début du plan laissant place à un bleu plus froid et le mouvement se dissipant lentement) ou bien seulement en quelques plans symboliques (l'assaut d'une caravane par Renaud de Chatillon et Guy de Lusignan où l'on voit uniquement le visage de ce dernier éclaboussé du sang des victimes de son épée).