Sur Joe Dante et l'exploration de l'inconscient dans Explorers et The Hole

Il semble de plus en plus improbable de voir un jour le dernier long métrage à ce jour de Joe Dante, The Hole 3D, dans une salle française. Sorti en 2010 aux États-Unis, on peut douter qu'il ait réussi à redonner une quelconque crédibilité financière à son auteur. Soulever encore une fois les carences de la distribution en France serait aussi facile que stérile... passons notre tour pour cette fois-ci sur un sujet que nous maîtrisons autant qu'il nous intéresse, très peu. Du reste, le plus efficace réseau de distribution en France a depuis longtemps mis à disposition ce film dans des conditions somme toutes honorables pour peu que l'on dispose d'un vidéo-projecteur et d'un mur blanc chez soi. Et puis ce n'est pas non plus comme si Joe Dante était un cinéaste majeur... Aussi, on préfèrera s'empiffrer de Kubrick tout le printemps grâce à l'exposition audacieuse que lui consacre la cinémathèque française et aux diverses initiatives que les poissons pilotes ne manqueront pas de prendre dans son sillage... qu'il me tarde d'enfin découvrir le costume de singe de 2001 pour de vrai (...) ou de ressentir la "beauté froide et mécanique" des travellings Des Sentiers de la gloire à travers les trois cents mots d'un journaliste stagiaire.

Sur de nombreux aspects, The Hole 3D semble être une variation de l'un des précédents films de Joe Dante, Explorers, réalisé peu après le succès commercial de Gremlins et que la Paramount sortit avant que celui-ci ne fut réellement achevé. Le film restera seulement deux semaines à l'affiche (voir cet article de cinetudes).
Dans les deux cas, on suit trois jeunes américains confrontés à l'irruption dans leur quotidien morne d'un objet mystérieux. Cette accroche pourrait être celle de nombreux films de Joe Dante tant son cinéma semble focaliser sur le contraste entre un quotidien aseptisé et absurde, dépouillé de tout sens ou profondeur et la nature fantastique d'un élément perturbateur qui servira de catalyseur à une prise de conscience du vide du mode de vie de l'américain moyen, perdu dans sa banlieue ou petite ville générique (dans The Hole, la famille composée des deux frères Dane et Lucas et leur mère emménage dans une petite ville, Bensonville que leur nouvelle voisine Julie fait visiter à Dane : "la plupart des gens quittent Bensonville, ils n'y viennent pas").
Au delà de cette très forte constante dans le cinéma de Joe Dante, se superpose une autre de ses grandes préoccupations, celle de l'enfance et de son impossibilité à entrer en relation avec un monde adulte décérébré, incapable de communiquer à l'extérieur autre chose que ses névroses. Ce sont pratiquement toujours des enfants ou de jeunes adultes qui se retrouvent aux prises avec l'élément perturbateur fantastique omniprésent dans ses films, car eux seuls sont vraiment capables de le ressentir, de le percevoir. Le monde adulte dont l'horizon se résume souvent à un écran de télévision, est complètement déconnecté d'une quelconque relation avec la Nature dans ce qu'elle peut contenir d'essences mythiques ou fantastiques.

De fait, ces deux thématiques sont étroitement imbriquées dans l'univers de Joe Dante, car cette incapacité à se confronter au mythique chez l'adulte est la conséquence de son conditionnement au sein d'une société qui ne laisse plus de place qu'au matérialisme, qui tente de tout rationaliser par le biais d'un positivisme scientifique gonflé jusqu'à l'absurde.
L'enfant, pas encore entièrement formaté, reste en partie sensible et ouvert à des phénomènes que les adultes rejetteront en bloc ; ce qui ne peut être expliqué rationnellement n'existe pas.
C'est aussi l'attitude qui différencie l'enfant de l'adulte : Joe Dante aime à filmer les adultes dans des postures ridicules ou paresseuses, toujours assis devant la télévision ou à table, habillés de robes de chambre, pyjamas et bonnets de nuits, tandis que l'enfant semble plus porté à la découverte de son environnement, à l'exploration de l'extérieur. L'adulte, résigné, semble peu enclin à ce genre d'attitude... et apprécie le confort intérieur et douillet de sa maison. L'archétype en est sûrement Ray Peterson (Tom Hanks) dans The 'Burbs, qui en congés, préfère rester dans son impasse résidentielle pour espionner ses étranges nouveaux voisins plutôt que de partir près d'un lac se ressourcer et reprendre contact un tant soit peu avec la nature.
Dans Explorers, la façon dont Dante filme les adultes / parents est exemplaire de son discours : il y a tout d'abord le père invisible de Darren dont l'on entend seulement les cris de l'extérieur de la maison. La mère de Ben est elle présente à l'écran, on l'aperçoit deux fois faire irruption dans la chambre de ce dernier... outre ces irruptions, leurs interactions sont essentiellement basées sur le mensonge : ainsi la première fois, Ben feint d'être endormi tandis que la seconde, il s'escrime à cacher les plans qu'il est en train de dessiner.
Le mensonge est aussi présent dans la relation qu'entretient Wolfgang à l'égard de ses parents, mais dans une mesure moindre car ces derniers, outre le fait qu'ils sont étrangers et semblent peu ancrés dans l'american way of life, nous sont montrés comme hautement excentriques, vivant entourés d'enfants et encourageant les expérimentations scientifiques de Wolfgang.
Ce schéma d'interactions conflictuelles s'applique aussi à The Hole où les deux frères cachent tout au long du film leur découverte de la trappe à leur mère célibataire. On pourrait ajouter sa relation avec un médecin, particulièrement mal vécue par le frère aîné (mais cela touche plus à son rapport au père qui est l'une des finalités du film).
L'absence notable des adultes connaît des exceptions dans les deux films, en plus des parents de Wolfgang, il y a dans chaque film un personnage adulte qui semble être une sorte de projection dans le monde adulte, pessimiste ou non accomplie, des enfants. Il s'agit de Charlie Drake, un pilote d'hélicoptère qui aperçoit le vaisseau des enfants lors d'un vol dans Explorers et qui s'avérera, enfant, avoir eu le même genre de rêves que ceux de Ben sans pour autant qu'il puisse les exploiter par la suite et Creepy Carl, l'ancien locataire de la maison dans laquelle emménage la famille de The Hole, celui-ci a disposé des cadenas autour de la trappe afin de la condamner.

L'accession à l'inconscient se fait par l'intermédiaire d'un système clé / porte. Dans Explorers, ce sont les rêves qui figurent cette clé, à la manière des théories développées par la psychanalyse de Freud ou celles de la psychologie analytique de Jung ; c'est dans ses rêves répétés que se dévoilent à Ben les plans permettant de fabriquer le vaisseau spatial qui figure lui la porte (la composante onirique chez Dante mériterait un plus grand développement tant elle est présente dans la plupart de ses films).
Dans The Hole, la représentation se veut plus directe, la clé prend la forme d'un trousseau qui permet d'ôter les cadenas qui empêchent l'ouverture de la trappe.
Dans Explorers, la découverte de l'inconscient en lieu et place d'une exploration de l'univers s'affiche comme ironique, Joe Dante explique ainsi (source) :
(Ben) espérait apprendre les secrets de l'univers et en fin de compte, il n'obtient qu'une copie carbone de lui-même. C'était un concept assez peu spielbergien... en fait, c'est de l'anti-Spielberg. Le film va contre l'idée qu'on regarde les étoiles en y cherchant Dieu, alors que tout va bien ici et maintenant. Et le public a été déçu, comme l'étaient les enfants dans le film.
Cette soif de connaître l'extérieur se heurte ainsi à celle de son propre monde intérieur, vu comme une frontière infranchissable. The Hole 3D, se situe dans un registre plus grave, plus qu'une exploration, il s'agit d'une confrontation, où Dane se voit contraint d'affronter le traumatisme longtemps refoulé d'un père violent. Avec une photo froide, une mise en scène plus tranchée et une direction d'acteur beaucoup moins bouffonne qu'habituellement, le film ne possède pas l'aspect malicieux et bonhomme des autres productions de Joe Dante. La représentation métaphorique des choses y est sans détour et pleinement symbolique : l'inconscient se retrouve matérialisé très pragmatiquement en un mystérieux trou obscur qui semble sans fond et bloqué par des cadenas, puis ensuite en un monde éminemment intérieur et subjectif aux proportions et perspectives déformées, loin de l'image ludique du frère et de la sœur extraterrestres de Explorers et de leur vaisseau qui semble à première vue labyrinthique et inquiétant mais qui se révèle vite être familier ; en fait une chambre d'enfant avec télévision qui nous ramène à la scène d'ouverture du film.
On pourrait s'amuser à confronter ces deux films à leur double adulte Innerspace, qui propose le dispositif inverse avec la matérialisation d'une conscience intérieure qui permettra l'émancipation de Jack Putter vis-à-vis d'un monde extérieur oppressant.