David Fincher, naissance d'un réalisateur



Passé par les cases publicités et clips avant de se frotter au long métrage, David Fincher a mis du temps à se défaire des codes propres à ces disciplines, ou plutôt à les exploiter de manière cohérente dans le cadre d'un long métrage de fiction, faisant de lui un chef de file reconnu, tant pour son apport dans l'apprivoisement des images de synthèse au service de la narration que dans sa sensibilité à dépeindre des univers désespérés.

Parachuté d'emblée dans la cour des grands en prenant la suite de Ridley Scott et James Cameron pour réaliser le troisième volet de la série Alien (1992), David Fincher fait déjà preuve de qualités esthétiques poussées, qui lui permettent de se démarquer de ses deux prédécesseurs, autrement plus aguerris que lui.
Après l'épisode réalisé par un James Cameron qui a pour signature principale la démesure (depuis 1989 et son film Abyss, tous ses films ont battus le record du film le plus cher de l'histoire du cinéma : Abyss, Terminator 2 (1991), True Lies (1994), Titanic (1997), Avatar (2009) ), Fincher réalise un film d'une noirceur rare qui se recentre sur les principes intimistes établis par Scott lors du premier volet, notamment en abordant lui aussi le genre du huis-clos et en jouant sur le contraste froid entre organique et technologique, ainsi en quelques plans, Fincher supprime sans pitié les personnages autres que le lieutenant Ripley (Sigourney Weaver) a avoir survécu au deuxième volet.
La planète prison sur laquelle s'écrase Ripley constitue un décor riche et ludique, de par son isolement, ses spécificités architecturales, son absence totale d'armes à feu et les personnages qui la hantent plus qu'ils ne l'habitent.
Avec Alien 3, Fincher découvre aussi les joies d'une production hollywoodienne et voit sa fin changée par des producteurs mécontents.

Se7en (1995), le film suivant du réalisateur, se signale surtout par un respect outrancier des codes du thriller (pluie, duo contrasté d'enquêteurs, énigme téléphonée), à peine malmenés par une noirceur au moins aussi présente que dans son précédent film, et peu commune alors dans un film grand public.
Là encore, Fincher se signale par une esthétique très prononcée ; on signalera sa collaboration avec Darius Khondji, directeur de la photographie au style quelque peu appuyé, à grands coups de filtres et de néons.
Gros succès au box-office, le film lui permet de réaliser The Game (1997), petit frère et variation ludique de Se7en.

C'est avec Fight Club (1999) que Fincher va durablement marquer les esprits et prendre sa pleine démesure, adaptant le premier roman de Chuck Palahniuk.
Fincher multiplie les audaces visuelles et narratives à un rythme effréné, en énumérer quelques unes serait preque stérile tant le film n'en est qu'une succession.
Si Fincher réussit pleinement à retranscrire à l'écran le génie narratif de Palahniuk et traumatise sûrement quelques réalisteurs par sa maestria visuelle et son utilisation brillante des effets spéciaux, il montre aussi les limites de son œuvre, froide dans son intensité dramatique ; Fight Club se regarde comme une publicité longue de deux heures où la cascade de flux visuels ne suffit pas à cacher un certain vide émotionnel.

Panic Room (2002) marque un autre tournant chez Fincher, si il y retrouve Khondji à la photo, il est surtout notable de voir que sa mise en scène semble enfin faire écho à une réflexion d'ordre cinématographique.
Après Alien 3, le réalisateur replonge dans le huis-clos, mais sa vision en est autrement plus aboutie, le scénario malin et épuré de David Koepp permet à Fincher de se concentrer pleinement sur la construction d'un espace cinématographique. En reprenant quelques unes des idées de Fight Club, notamment une caméra entièrement libérée des contraintes physiques grâce aux images de synthèses, et qui n'a de cesse de déambuler dans ce double espace clos (un appartement new-yorkais assailli par des cambrioleurs qui le pense encore vide et la panic room où se réfugient une mère et sa fille, nouveaux locataires).

De la même manière que Panic Room s'aventurait sur les territoires d'Alien 3, il est difficile de ne pas voir Zodiac (2007) comme étant en partie une relecture adulte de Se7en.
Les deux films contrastent en presque tout les points (notamment la temporalité et le réalisme du traitement) et Fincher, s'il n'a pas abandonné toutes velléités visuelles, se concentre clairement sur ses personnages et leur évolution dans le temps ; là où l'enquête de Se7en se déroulait en une semaine pluvieuse, celle de Zodiac s'étale sur des années, pour ne jamais aboutir, si ce n'est dans le délitement progressif de la vie des enquêteurs, victimes collatérales du meurtrier.

Chasseur blanc, cœur noir - l'art du biopic

La plupart des biopics hollywoodiens modernes ayant pour sujet un artiste, avec leur approche servile et respectueuse à l'excès, forment un genre éculé, plagiant toujours plus ou moins le médiocre modèle qu'est Amadeus (1984) de Milos Forman, révolutionnaire en son temps et dans mes yeux d'enfant, mais qui, peut-être délavé par ses trop nombreuses copies, a perdu de sa superbe au fil des années.

Là où beaucoup se contentent de servir la soupe sur un sujet forcément torturé forcément auto-destructeur, interprété par un acteur en chasse pour une statuette quelconque et "habité" par son rôle, avec Chasseur blanc, coeur noir (1990 - White Hunter, Black Heart) Clint Eastwood décide - en adaptant le roman éponyme - de raconter John Huston dans l'avant-tournage de L'Odyssée de L'African Queen (1951 - The African Queen), à travers la voix de son ami et scénariste sur le film, Peter Viertel et ainsi d'offrir un point de vue, certes amoureux et empreint de respect vis-à-vis de Huston, mais aussi complexe et surtout dépourvu de tout le mélodramatisme mielleux de rigueur, de la déférence excessive qui mine ce genre particulier, souvent bourré de tics et d'effets grandiloquents.

Outre le fait que Chasseur blanc, cœur noir dresse un portrait collectif doucement mélancolique d'un âge d'or du cinéma hollywoodien déjà à son crépuscule, la réussite du film tient peut-être aussi dans ce choix plein d'humilité de ne pas raconter la vie d'un homme, mais simplement un moment de celle-ci, aussi parlant soit-il.
De l'enfance sûrement pénible et douloureuse de Huston nous ne saurons rien, nul flash-back ... le film adopte une narration des plus classique et linéaire, Eastwood ne cherchant jamais à expliquer ou justifier son protagoniste, simplement à le montrer, à nous le dévoiler un peu, avec simplicité, bienveillance et légèreté.
Avec gravité aussi, comme dans cette fin qui donne son titre au film, et qui apporte une consistance à ce personnage caractériel et buté, obsédé par des démons dont nous ignorerons tout sauf la présence en son cœur, noir donc.

Incassable, une profession de foi


Les producteurs qui se frottaient les mains à la sortie de Sixième Sens (1999 - The Sixth Sens) ont eu le temps de déchanter avec les films suivants de Shyamalan, qui va crescendo dans un refus du conformisme hollywoodien.
En arborant une thématique constante tout au long de ses films ayant comme vecteur premier la foi et des choix de traitement rigoristes dans la forme, Shyamalan s'affirme tout au long de sa filmographie comme un auteur décalé par rapport aux exigences économiques des longs métrages à gros budget.
Voyons comment, avec Incassable (2000 - Unbreakable), Shyamalan entame une fracture irrémédiable avec le cinéma commercial hollywoodien.

Incassable, pour moi le meilleur film de son auteur, donne le ton d'une œuvre dénotant singulièrement avec la vision hollywoodienne du super-héros, tout en s'attachant à en souligner les enjeux philosophiques propres à ce type de fiction.
Traitant de la genèse pénible d'un super-héros et de son double machiavélique, Shyamalan préfère s'attarder sur les relations familiales délicates du personnage, découlant en grande partie de sa nature de super-héros, mettant en lumière la fatalité dans la condition de tout super-héros, qui ainsi, se voit écarter de ceux qu'il a juré de protéger et trouve finalement comme seul reflet, celui qu'il doit combattre.

L'incrédulité du héros quant à sa condition, son non-costume de super-héros ; une casquette et une simple tenue imperméable, la touchante scène d'ouverture tournée du point de vue d'un enfant qui le regarde, essayer maladroitement de flirter avec sa voisine dans un train, ou celle dans laquelle David Dunn (Bruce Willis) combat un méchant "ordinaire" en se contentant de l'agripper par derrière jusqu'à ce que ce dernier, de guerre lasse, abandonne la lutte, sont autant d'éléments qui permettent à Shyamalan de se démarquer du spectaculaire habituel propre à tout film de super-héros.

Cette incrédulité première de David contraste avec la foi infinie et pathologique d'Elijah Price (Samuel L. Jackson) dans son destin, n'ayant de cesse de rechercher son inverse parfait, seul capable d'accréditer cette thèse ... deux faces inséparables d'une même pièce. La création de l'une aboutissant fatalement à celle de l'autre dans ce qu'on appellerait en logique une relation de réciprocité.

L'affiche, pied de nez au titre du film, n'est en rien innocente, qui montre un miroir brisé dans lequel on peut voir à la fois David et Elijah, symbole du point de vue de Shyamalan ; respectueux des codes propres au genre (qu'il ne cesse d'expliciter à travers le personnage de Price) et iconoclaste dans son traitement, afin de redonner une substance et une profondeur à une sous-culture trop souvent diluée dans son traitement cinématographique.

Signes, La Guerre Des Mondes, Cloverfield - à l'assaut des conventions


A travers trois films, Signes (2002 - Signs) de M. Night Shyamalan, La Guerre Des Mondes (2005 - War Of The Worlds) de Steven Spielberg et Cloverfield (2008) de Matt Reeves et produit par J.J. Abrams et Bryan Burk, s'esquisse une nouvelle imagerie du block-buster américain, portée à la fois par l'arrivée progressive du numérique dans le cinéma et par les attentats du 11 septembre (et leur cortège d'images amateurs) qui ont fait émerger une nouvelle vision du spectaculaire dans l'inconscient collectif américain, aboutissant chez les cinéastes à une redéfinition des conventions esthétiques propres au genre.

Signes tranche avec le modèle du block-buster hollywoodien ; en décidant de restreindre sa narration au seul point de vue d'une famille, Shyamalan poursuit logiquement une filmographie marquée par une sobriété visuelle dont le point d'orgue est sûrement Phénomènes (2008 - The Happening).
Évitant le "point de vue de Dieu", il opte pour une mise en scène où le spectaculaire ne découle plus d'une avalanche souvent stérile d'effets spéciaux marquée voire traumatisée par l'avènement des jeux-vidéos.
Ici, il est amené par des crop-circles dans un paysage fermé par les champs de maïs, statiques et évoquant une imagerie tribale ancestrale, et des images de télévision dont le cadre occupe une place réduite à l'intérieur du cadre même du film, images légèrement parasitées, imprécises et dont le grain vidéo contraste avec celui de la pellicule.

Les envahisseurs, insaisissables dans leur totalité, se dévoilent petit-à-petit (images amateurs fugaces sur l'écran de télévision, jambes, mains), semant d'abord dans l'esprit du spectateur un doute légitime quant à la véracité de l'invasion - en jouant notamment sur la méfiance grandissante qu'entretient ce même spectateur vis-à-vis des images télévisuelles - pour apparaître finalement au travers d'un reflet dans une télévision éteinte (...), filmée en gros plan.
Le film dénote aussi par une fin riche en significations mais dont on soulignera seulement l'aspect anti-spectaculaire (les envahisseurs qui ne supportent pas l'eau, sont en quelques sortes rejetés par la planète).

On pense ainsi immanquablement à Signes en voyant La Guerre Des Mondes, même choix de point de vue restreint à celui d'une famille (télévisions, ...), même fin anti-spectaculaire et narrativement déroutante.
Il serait tronqué de ne voir le film que sous cet angle, tant d'autres apparaissent en le replaçant dans son contexte géo-politique ou dans la filmographie de son auteur, néanmoins une même ambition coule dans ses deux films, offrir une remise en cause et une alternative au courant hollywoodien commercial.

Cloverfield, recyclage assumé des images du 11 septembre, peut apparaître comme une habile variation où les bases posées précédemment sont digérées pour aboutir à une esthétique numérique à proprement parler, qui de Mann à Romero ou De Palma, commence à trouver sa place en fouillant le rapport confus qu'entretient le cinéma avec les médias numériques.