Deus ex Hollywood

Au-delà de la locution "Deus ex machina", signifiant le raccourci narratif permettant de dénouer de manière impromptue - miraculeuse - une situation fictive, il existe des liens étroits entre fiction et religion.
Le propos de ce texte n'est pas d'analyser la religion en tant que fiction, ni même les codes narratifs, la mise en scène et artifices déployés dans le cadre de la pratique d'une religion (livre sacré, rituel, clergé, édifices...), mais de souligner son influence constante, notamment en matière de morale, dans la fiction cinématographique, ici le cinéma hollywoodien.

S'il fallait synthétiser le cinéma hollywoodien en un mot, "Bible" serait sûrement celui-ci, les livres sacrés du judaïsme et du christianisme transpirent à travers toute l'histoire de cette industrie.
Rares y sont les films faits là-bas qui ne tiennent pas de la relecture ou de la variation plus ou moins consciente d'un épisode du nouveau ou de l'ancien testament, ou qui n'offrent à voir une énième figure christique.
La chose peut sembler naturelle dans un pays où la ferveur religieuse a toujours été grande, et constitue même en un sens, l'un des ciments de cette société multi-culturelle et dont la diversité sociale semble sans commune mesure par comparaison avec le vieux continent.

D'une révolution l'autre, de la période classique au nouvel Hollywood jusqu'à l'avènement des réalisateurs geeks post-Tarantino, c'est un éternel spectacle biblique qui nous est présenté, seules évoluant réellement les techniques de narration.
Qu'ils cherchent à la dépasser ou non, les scénaristes et réalisateurs hollywoodiens restent profondément englués dans cette identité chrétienne, que ce soit dans une attitude d'opposition et de rejet ou simplement dans une attitude plus conciliante, le cinéma hollywoodien continu de se définir dans son rapport à la morale judéo-chrétienne.

Dans la droite lignée de la littérature romanesque, la fiction hollywoodienne de l'âge d'or n'est perçue par le spectateur qu'à travers ce prisme.
Projetant des personnages dans un univers où le bien et le mal sont des notions clairement établies, possiblement distinctes voire disjointes.
La fiction n'est pas tant un portage romancé de la réalité que celui des règles morales à suivre.
Des exemples ludiques et extrèmes, des mises en situations romancées des choix moraux qui jalonnent une vie... Ni plus ni moins que la continuité directe, le prolongement de l'ancien testament, mais éclaté à l'extrême car échappant au carcan d'une religion.
Les acteurs stars - on peut parler d'icônes - des studios, clairement identifiables et confinés à un certain type de personnage, toujours impécablement mis en valeur, jouent ici le même rôle que les personnages symboles que l'on retrouve tout au long de la lecture de la bible.
Les films de John Ford par exemple, avec leur redondance thématique, des cadres richement composés et fixes, ne sont pas sans évoquer l'iconographie religieuse.

Avec l'essor du Nouvel Hollywood à la fin des années 60, et conjointement à la révolution culturelle qui se déroule à cette époque, on remarque une opposition franche vis-à-vis de ce procédé, le cinéma mondial tente de s'émanciper du joug narratif induit par le moralisme religieux et des codes qui s'en rattache.
Dans la lignée du néoréalisme italien et de la Nouvelle Vague française, le traitement visuel se veut plus réaliste, les icônes symboliques hollywoodiennes laissent place à des acteurs au jeu moins théâtral, interprétant des personnages moralement ambigus (Bonnie & Clyde, Easy Rider, Badlands, M.A.S.H.). Une nouvelle génération de réalisateurs et scénaristes hollywoodiens (Sam Peckinpah, Dennis Hopper, Arthur Penn, Sidney Lumet, Robert Altman, John Cassavettes, ...) bouleversent et retournent les codes moraux qui dictaient jusqu'alors ce cinéma et que leurs prédécesseurs (Howard Hawks et Scarface, Hitchcock) , aussi hardis soient-ils avec la censure et les dirigeants des studios n'avaient pu que timidement bousculer.
Le but est de ré-inventer le cinéma, briser le moule narratif et esthétique dans lequel il est tenu, chercher dans des rythmes plus contemplatifs, à se détacher des constructions artificielles d'épreuves d'essence divine auxquelles sont soumis les hommes, de les replacer au centre de leur réflexion morale.
Le Nouvel Hollywood finira par se diluer avec l'arrivée de cinéastes comme Steven Spielberg et George Lucas, qui imposent un nouveau modèle grand public ou comme Brian De Palma et John Carpenter qui, fascinés, n'ont de cesse de recycler le cinéma classique.

Dans la période des blockbusters, le christ est sûrement la figure implicite la plus représentée, on peut même être tenté de ne voir ce cinéma que comme une mosaïque éparse et hétérogène qui ne raconterait qu'un seul et même personnage placé à chaque nouveau film dans un contexte différent. Si le cinéma classique semble se référer à l'ancien testament, c'est sous le prisme du nouveau testament que se reflète désormais le nouveau cinéma commercial hollywoodien.
Les traits christiques que le héros hollywoodien moderne adopte sont autant dans la droiture morale que dans la dimension sacrificielle du christ.
Citons pèle-mêle un acteur comme Mel Gibson, particulièrement représentatif, ou des personnages comme John McClane (Die Hard), Neo (Matrix), John Rambo (Rambo), le sergent Elias Grodin (Platoon), Optimus Prime (Transformers), Spider-Man (Spider-Man 2, la scène du métro).

L'autre axe biblique particulièrement mis en valeur lors de cette période est celui de la thématique de l'apocalypse. Les films catastrophes, dans une escalade du spectaculaire significative, revisitent sans se lasser les différents épisodes bibliques que sont le déluge, la tour de Babel, Sodome et Gomorrhe, les dix plaies d'Egypte, l'apocalypse selon Saint Jean, ...
S'il convient de souligner que ces projets sont en partis motivés par leur potentiel spectaculaire, il ne faut pas pour autant en exclure la dimension religieuse et la montée d'un certain puritanisme, qui voit dans la société occidentale moderne mondialisée, tour à tour une nouvelle Babel dont l'expansion sans fin est la marque d'un manque d'humilité et d'une inconscience relative vis-à-vis de la nature qui l'entoure (The Day after tomorrow) ou une société décadente en perte de repères moraux (Southland Tales).
Dans ces films le rapport à Dieu est frontal et simpliste, la distance avec le divin s'effaçant jusqu'à l'absurde (Legion, Bruce Almighty).
La nouvelle génération de réalisateurs geeks n'échappe pas, loin s'en faut, à ce mouvement, les horror movies modernes, dans un surprenant retournement de valeur vis-à-vis de leurs modèles qui dénonçaient justement l'oppression vis-à-vis d'une jeunesse émancipée, mettent en scène des massacres d'étudiants sexuellement libérés (qu'ils auront souvent préalablement filmés avec avidité) avec un enthousiasme et un manichéisme qui laisse songeur (Piranhas 3D, Hostel) qui semble tenir autant d'une frustration refoulée que d'une intransigeance inavouée, le tout sous couvert d'un second degré revendiqué mais pas toujours évident à déceler.