La Stratégie Ender

Ender's Game est un film de Gavin Hood sorti en 2013 où les enfants se sont substitués aux adultes pour faire la guerre à une race extraterrestre, au prétexte qu'ils assimilent mieux de grosses quantités de données et sont donc plus aptes à combattre dans une guerre où les batailles se résument désormais à ce qui ressemble à une partie d'un jeu vidéo de stratégie. La réalité s'est fait déborder par sa simulation et se contente désormais de la suivre paresseusement.

Du fait de cette confusion, le jeu a peu à peu remplacé toutes les autres formes de communication dans Ender's Game.
Les enfants sont éduqués et sélectionnés par le jeu, la simulation. Car la simulation a des caractéristiques qui lui permettent de supplanter le réel, avec en premiers lieux l'optimisation et la répétition.
La simulation tient ici de succédané docile du réel, permettant d'en enlever tout le superflu pour ne garder qu'une sorte de concentré utilitaire. Ses répétitions et variations possiblement infinies lors d'entraînements permettent quant à elles de rationaliser le temps éducatif à son maximum.
Cette vampirisation capitaliste de la simulation et du jeu à dessein, est l'essence de la diégèse du film ; un monde où tout ce qui distinguait l'enfance de l'âge adulte a été minutieusement supprimé.
On pourrait parler de gamification, mais ce terme a d'inapproprié le fait qu'il élude que c'est le jeu lui-même qui perd le plus de sa substance (sa "ludicité" pour employer un néologisme) dans cette opération de fusion.
Le jeu devient un média global, encapsulant toutes les autres formes de communication : il est ainsi vidé afin de n'être guère plus qu'une coquille, un déguisement pour le travail, l'entraînement, la guerre, ...
Même les Formics (les extraterrestres) tentent de communiquer avec Ender à travers le jeu du colonel Anderson.

C'est un thème récurrent dans le cinéma actuel, même si pas toujours aussi pregnant qu'ici : on pense notamment à Harry Potter, qui sous travers de nous montrer une pittoresque école de magie, va avec le temps dévoiler un univers sombre où la mort est omniprésente.
Dans The Hunger Games, variation naïve des Gladiateurs de Peter Watkins, la guerre a été remplacée par des jeux cruels entre adolescents. Tout comme le très beau film de Mamoru Oshii, The Sky Crawlers, où des clones sans mémoires sont jetés encore et encore dans une guerre absurde.
C'est aussi ce qui faisait la férocité de la série animée Evangelion.

Dans Ender's Game, les adultes semblent à première vue n'être que des spectateurs, laissant les commandes aux enfants. Pour autant, ils continuent de diriger le seul jeu qui compte vraiment. Ainsi, les deux militaires, le colonnel Hyrum Graff et le major Anderson, n'ont de cesse de tester les capacités d'Ender dans ce qui peut apparaître comme une variation du pari entre Satan et Dieu dans le Livre de Job. Plus que des spectateurs, ils sont plutôt les concepteurs du jeu auquel jouent Ender et les autres enfants.
Les scènes où les deux militaires dialoguent sur le bien fondé de telle ou telle expérience sur Ender les montrent toujours isolés (mais observant Ender à travers des moniteurs), comme une caste managériale qui du haut de sa tour d'ivoire préside à la destinée de ses employés. Et peu importe que le major Anderson tente de faire preuve d'humanisme, elle manipule Ender exactement comme le fait le colonel (notamment avec le jeu sur tablette qui n'a normalement pas d'issue et est juste là pour éprouver la réaction d'Ender face à la frustration).

La reconnaissance du pattern utilisé par l'adversaire est une qualité essentielle pour un joueur. Ender va, comme le légendaire commander Mazer Rackham, trouver celui des Formics avec la séquence qui nous montre la première victoire des humains sur les Formics grâce au sacrifice supposé du commander.
Cette séquence qui est en fait tronquée, est analysée et visionnée sans relâche par les cadets, un peu comme le fut le film de Zapruder après l'assassinat de JFK. Il n'en reste pas moins que sa vérité n'est pas atteignable directement par la seule somme des images qui la composent.
Elle aussi partie du pattern qui guide la vie d'Ender, un combat permanent qui vise à l'annihilation totale de l'adversaire maquillé sous forme de jeux, où chaque niveau n'est qu'une répétition pour le niveau ultime : le combat avec Bonzo dans la salle de bain est la répétition de sa première altercation, tant dans sa cause que dans son déroulement. Ce pattern porte le sceau du diabolique et omnipotent colonel Graff ("I've watched through his eyes, I've listened through his ears"), et c'est de n'avoir pas su le déchiffrer à temps qui va perdre Ender en lui faisant accomplir la tragédie que porte son nom : Ender, celui qui termine, et ainsi exterminer une race entière, alors qu'il pensait encore participer à une simulation (on pense encore à un autre film de Mamoru Oshii, Avalon, où le dernier niveau marque le basculement définitif de la réalité chez Ash).