Sur Die Hard 4

Rapidement, Die Hard 4 est un film que l'on devine tiraillé entre des impératifs relatifs à la nécessaire réussite commerciale d'une telle production et une certaine ambition scénaristique (de fait quatre personnes sont créditées pour l'élaboration du scénario) ; du moins, le film semble essayer de prendre place dans le débat qui agite le cinéma d'action américain depuis l'avènement de Matrix ; un discours qui vise principalement à confronter les anciens canons des héros d'action movies des années 80-90, désormais "obsolètes", à un environnement transfiguré, agité par des forces et des règles nouvelles (en resserrant un peu, on pourrait le placer dans une trilogie hétéroclite mais symbolique des différentes facettes d'Hollywood avec Terminator 3 et The Expendables, centrée sur la trinité Schwarzenegger - Stallone - Willis). Cette introspection est une des constantes du cinéma hollywoodien (peut-on se permettre de conjecturer un lien avec le néo-classicisme hollywoodien, courant qui avance l’œil dans le rétroviseur ? Cela tient aussi sûrement d'un recyclage permanent des mythes à l’œuvre dans ce système, entre pragmatisme et fascination réelle, et dans un cadre plus large, un désir de créer sa propre mythologie ou plutôt de la mêler à celles plus anciennes et/ou "universelles", comme si l'accession à l'historicité passait en partie par la mythification) et révèle une profondeur, une dimension qui échappera toujours en partie au cinéma d'auteur européen, auto-centré par nature et qui préfère interroger la place d'un film au sein d'une filmographie plutôt que des problématiques de granularité supérieure (la place d'une filmographie ou d'un film au sein d'une période ou l'évolution d'un mouvement par exemple).

Terminator 3 : Rise of the machines donnait à voir une certaine vigueur dans cette opposition entre ancien et nouveau, proposant une alternative élégante dans des scènes de combat où ressortaient pleinement la masse et la lourdeur ; des scènes sobrement découpées mais pleines de puissance et cherchant toujours à souligner la force physique de l'impact en une lenteur obstinée.
Die Hard 4 n'a pas ces ambitions, à l'image de sa mise en scène stérilement et constamment dynamique pour faire ressortir chez le spectateur un sentiment d'urgence. N'en reste qu'une forme de lassitude et un manque de contraste certain lors des séquences d'action qui se perdent dans une quête de démesure propre aux suites de blockbusters, alignées bien sagement et qui surgissent au battement du métronome.
Le mouvement semble être la ligne directrice du film, mouvements de la caméra et du cadre, mouvements incessants des deux héros (qui se voudrait opposée à l'immobilisme des autres protagonistes, toujours captifs de leurs écrans) : la voiture, projection un peu facile, y est d'ailleurs omniprésente (citons parmi les scènes les plus cocasses : McClane jetant une voiture dans hélicoptère et McClane jetant une voiture dans un ascenseur). Cette vision boulimique du mouvement n'est pas sans faire penser à la volonté d'une remise en cause nécessaire d'un genre qu'il faut faire avancer coûte que coûte, comme un cavalier qui chercherait à faire avancer sa monture déjà fatiguée par l'âge et l'effort. N'est pas McTiernan qui veut.

L'écriture, qui domine largement la mise en scène, suit une direction similaire ; ainsi le traitement du personnage de John McClane, transformé en caricature de lui-même. Sont présents tous ses attributs les plus évidents : sa force physique brute, son intrépidité, sa dimension sacrificielle et christique (qui le fait immanquablement finir ensanglanté et en guenilles), son humour (principalement des punch lines, jusqu'à écœurement et dont se moque le personnage de Thomas Gabriel), mais ces éléments sont ici trop lourdement marqués, devenant sans consistance car assemblés avec la même froideur scientifique que celle du docteur Frankenstein pour sa créature.
McClane est montré comme une figure dépassée, par la technologie mais aussi dans l'action. En effet, l'histoire s'articule autour de deux thèmes ; l'héritage (entre McClane et Matt Farrell le jeune hacker qui l'accompagne, entre McClane et sa fille) et l'opposition entre force brute et l'agilité post-Matrix dans l'action (cette agilité est représentée par les personnages de Mail Lihn et de Rand, interprété par Cyril Raffaeli, cascadeur et acteur au style athlétique marqué). De fait ces deux thèmes s'entremêlent dans une peur à la fois de la technologie et de la féminité, c'est l’obsolescence de McClane qui est à chaque fois interrogée, et à travers lui, celle du cinéma d'action des années 80-90... Tout cela pour aboutir à une conclusion qui ne laisse aucun doute d'entrée de jeu.
Là aussi, le parallèle avec Terminator 3 est éloquent (Die Hard 4 nous gratifie au passage de quelques clins d’œil plus ou moins fins à la saga Terminator), car on y retrouve grossièrement les mêmes dynamiques scénaristiques mais qui étaient alors exploitées de manières plus subtiles, jouant sur le contraste entre la fragilité de Connor et la force du terminator et sur celui des corps des terminators antagonistes, avec d'un côté le massif Arnold Schwarzenegger et de l'autre la féline Kristanna Loken), le discours sur la technologie y était lui aussi plus recherché, mais il est vrai que la série Terminator, une des ceux qui ont ouvert "la boîte de Pandore du numérique", entretient un rapport autrement plus profond et complexe avec celle-ci.
Ici, les thématiques citées ci-dessus sont traitées avec une forme de facilité agaçante ; pour ce qui est de l'héritage, on assiste à une suite de scènes didactiques nous permettant de saisir l'évolution de la relation entre Farrell et McClane : de la scène de l'autoradio où Farrell se moque des goûts musicaux désuets de McClane jusqu'à la scène finale paternaliste qui, en écho, se clôturera justement avec le bon vieux tube rock raillé précédemment. Concernant la relation avec sa fille, elle se résume à la lourde insistance sur le nom de famille de Lucy McClane qui préfère dans un premier temps se faire appeler par le nom de jeune fille de sa mère. Mais le plus médiocre reste encore les punch lines de McClane pour marquer sa force brute et virile, symbolique des anciens blockbusters et qui s'oppose ici à l'alliance post-Matrix entre technologie et art martiaux asiatiques (citons "J'en ai marre de ton kung-fu", "ta ninja anorexique", "Je vais venir te botter le cul dans ton Q.G.", ...) ou la scène de l'explosion factice de la maison blanche à la télévision pour signifier la dangerosité et l'illusion trompeuse du numérique (on passera sur la pincée de pseudo-réflexion post-11 septembre contenue dans le film à travers le personnage de Thomas Gabriel, qui tient essentiellement de l'opportunisme paresseux).
Les créateurs du film paraissent finalement poser un regard aussi caricatural sur l'univers des blockbusters classiques que celui qu'ils jettent sur les nouvelles technologies, qui pour le coup est une vraie résurgence des années 80. Totalement caduque et grotesque dans la représentation qu'il en fait, le film s'échine à montrer la technologie comme le talon d'Achille de la société moderne, à la fois omniprésente et terriblement vulnérable (c'est finalement grâce à une CIBI que John McClane réussit à contacter The Warlock). Cette méfiance vis-à-vis de la technologie et du "progrès" est une constante dans l'inconscient occidental depuis la blessure jamais refermée de l'industrialisation, mais ici la dénonciation se situe plus dans le conservatisme latent et buté qui enrobe tout le film que dans la retranscription de ce traumatisme collectif. Il n'y a jamais de volonté de considérer en quoi la technologie transforme nos vies, mais seulement de récupérer un sentiment complexe et pluriel pour le détourner et finalement le pervertir.
Il semble que les créateurs aient ainsi choisi de ne garder que le point de vue le plus réducteur et distant pour chacun des éléments qui constituent le film, y compris le héros. Le tout pour aboutir à un discours consternant qui ne montre qu'une chose, un immobilisme satisfait : l'absence totale des réflexions et des mouvements pourtant si fortement revendiqués.