Sur The A-Team

Avec The A-Team, Joe Carnahan confirme qu'il est, avec le tandem Neveldine/Taylor, ce qu'Hollywood a produit de plus excitant en terme de cinéma d'action ces dernières années.
Joe Carnahan, en plus de livrer une autre digestion brillante des séries télévisées par le cinéma, esquisse une nouvelle forme d'écriture narrative pour le cinéma d'action, déconnectée de tout caractère littéraire (avec une construction des personnages qui frôle le ridicule - à dessein, nous le verrons plus bas) pour devenir une sorte d'ingénierie visuelle appliquée au cinéma. Un sens ludique de l'espace qui n'est pas sans rappeler John McTiernan.

Il y a tout d'abord cette énième adaptation d'une vieille série en film. Phénomène qui en lasse plus d'un et qui a vu resortir les habituels discours sur le manque de créativité qui ronge Hollywood (...), quand bien même ces films se montrent souvent brillants, citons Mission: Impossible, Starsky et Hutch, 21 Jump Street et Star Trek.
Si chacun aborde l'adaptation suivant un angle qui lui est propre, on peut percevoir des schémas récurrents.
Notamment dans la relation à la série et dans le positionnement du film par rapport à celle-ci. Afin de ne pas ressembler à un simple "super épisode", le film se doit de se situer au-delà de la timeline de la diégèse, soit avant le commencement ou après la fin.
The A-Team ou Star Trek optent tous deux pour le même procédé : raconter la génèse de la série et s'y raccorder par un clin d'oeil extra-diégétique : le générique de fin du film reprend celui du lancement de la série.
Mission: Impossible et 21 Jump Street choisissent l'option opposée : se placer après la fin de la diégèse originelle. Ce choix dénote une opposition plus franche à la série. Ainsi les films qui se placent en prélude à la série se doivent de respecter scrupuleusement sa diégèse afin que le raccord puisse s'opérer convenablement tandis que ceux se plaçant après préfèrent déstructurer la série : Mission: Impossible, s'il commence comme le climax d'un épisode lambda de la série, va au final complètement en bousculer les codes : la mission est un échec et Jim Phelps s'avère être un traître. Brian de Palma détourne la diégèse existante afin de projeter sur celle-ci ses propres obsessions liées aux faux-semblants.
Dans 21 Jump Street, le film, qui est un reboot potache de la série, se sert de la diégèse antérieure pour mieux la moquer. Les acteurs de la série font une apparition dans la fusillade finale pour s'y faire tuer aussitôt.
Se placer à une des extrémités de la diégèse de la série est important afin de s'y rattacher, mais marquer la spécificité du cinéma sur les séries est aussi un des invariants de ces adaptations.
Dans The A-Team, on joue sur la répétition de la phrase-clé d'Hannibal : "I love it when a plan comes together" ou sur la phobie de l'avion de Bosco pour moquer la redondance des épisodes de la série, qui tient de l'absurde dans le cadre du cinéma.
De manière générale, on note que les adaptations aiment à remplir le vide laissé par ces vieilles séries par manque de moyen, d'ambitions narratives ou par les contraintes du format. Le cinéma délaisse la répétitivité inhérente aux séries pour se concentrer sur les morceaux les plus nobles qu'autorise la diégèse. On notera que la cible (les séries pré-HBO) est facile et que la situation s'est depuis largement retournée en faveur des séries télévisées qui offrent désormais un cadre narratif d'une ampleur inaccessible au cinéma (malgré l'émergence de sagas cinématographiques). Cette situation explique sûrement en partie l'acharnement jubilatoire de ces adaptations.

Autre aspect remarquable du film, la mise en abyme des fameux plans d'Hannibal au sein du film.
Les deux séquences-clé (la récupération des plaques à Bagdad et la scène finale) sont des merveilles de précision quant à la gestion de l'espace. Les deux utilisent le même procédé qui consiste à filmer en parallèle l'exposition du plan par Hannibal à son équipe et son exécution.
Ce procédé, assez classique, permet de jouer sur l'inévitable différence entre un plan et sa réalisation (notamment Ocean's Eleven de S. Soderbergh).
Hannibal est ici une projection intra-diégétique des créateurs du film ; ils partagent la même problématique : planifier une action dans ses moindres détails tout en ménageant un peu de suspens aux spectateurs. Pour Hanibal (et Face), font figure de spectateurs Bosco pour le vol des plaques (à cause de sa phobie des avions et de son antagonisme bon enfant avec Murdock, et le duo Lynch-Pike pour la scène finale). Il doit les tromper de la même manière que les créateurs avec les spectateurs du film.

Les deux scènes se répondent : celle du vol des plaques à Bagdad se termine tragiquement avec la disparition des plaques et l'explosion du container contenant l'argent. Hannibal est trompé par Lynch, Pike et le général Morrison.
Aussi pour la scène finale, Hannibal et Face vont à leur tout utiliser des containers pour exécuter leur plan.
Afin de rappeler le lien entre les créateurs du film et Hannibal, les docks d'un port marchand qui servent de décor ont une structure qui rappelle celle d'un théâtre : un bateau faisant office de scène, des échafauds et la structure d'une grue de déchargement servant de balcons pour les spectateurs (Pike et Lynch). Comme à l'opéra, ces derniers sont d'ailleurs équipés de lunette.
Les containers sont utilisés de manière appuyée, notamment avec un jeu de bonneteau géant où, déplacés avec des grues (...), ils remplacent les habituels cartes à jouer ou gobelets, puis finalement c'est dans un container que Lynch se fait piéger. Container qui soulevé comme une cloche, révèle aux autres spectateurs, notamment le lieutenant Soza, la véritable nature de l'agent Lynch.

D'autres scènes comme l'évasion des membres de la A-Team de leurs prisons respectives, mériteraient également d'être analysées tant elles sont audacieuses : celle de Murdock notamment.
Hannibal communique à Murdock son plan d'évasion grâce à un DVD et des lunettes en 3D envoyés dans un colis.
Lorsque la projection du DVD commence, on entend le générique de la série originale, montrant un hummer avançant face caméra, pour que finalement un vrai 4x4 percute et détruise le mur où est projeté le film.
Lorsqu'ensuite les militaires à leur poursuite leur tirent dessus, Murdock rajoute alors qu'il porte toujours les lunettes: "You guys should see these bullets in 3D, it's like we're actually shot at". Là encore, le procédé qui consiste à mélanger diégèse et réalité fonctionne à plein.