Sur Night Moves

Films après films, il y a chez Kelly Reichardt cette obstination à fixer l'immobilité, qui sonne comme une opposition farouche et disons-le parfois un peu scolaire vis-à-vis du cinéma hollywoodien.
La mise en scène de Reichardt semble moquer la frénésie de cet art séculier, cette dynamique qui de loin (ou de haut) doit ressembler à du bruit.

Night Moves résonne encore une fois comme une condamnation du mouvement, de l'agitation. Ses personnages vont payer cher d'avoir voulu agir, ou plutôt d'avoir voulu agir trop vite, trop fort, trop bruyamment, pris dans le tourbillon dérisoire de leurs pulsions adolescentes.
Les seuls mouvements qui trouvent grâce aux yeux de Reichardt sont ceux qui sont imperceptibles, réfléchis et lents.
C'est ce qu'explique par deux fois le patron de Josh, d'abord à la découverte dans les médias de l'explosion du barrage puis quand il congédie Josh après avoir compris que ce dernier en est l'auteur :  "Tu sais combien de temps il a fallu pour bâtir ça ?" lui dit-il en parlant de son exploitation agricole. Ode à la lenteur...

L'explosion du barrage est le centre de gravité invisible de son film, un trou noir qu'elle s'applique à ne pas mettre en scène tant il est incompatible avec sa grammaire cinématographique.
Quand elle retentit, la caméra reste démonstrativement figée sur les trois visages des protagonistes, fixes mais pas impassibles, heurtés soudainement par la réalité implacable de l'acte commis, impardonnable dans la diégèse d'un film de Reichardt.
A l'explosion du barrage, Reichardt préfère ainsi capturer celle moins spectaculaire des certitudes et des idéaux de ses personnages, désormais damnés dans un monde allergique au mouvement.

Ignorants le présage - l'automobiliste forcé de s'arrêter à côté du barrage par une crevaison alors qu'ils tentent de s'enfuir - dans une scène à l'écoulement du temps brutalement imposé par l'écran digital du retardateur de la bombe artisanale, ils doivent maintenant assumer les conséquences de leur acte sacrilège : la mort d'un campeur en aval du barrage.

La tragédie est lancée et ne pourra se terminer qu'une fois payé le prix du sang. Ce sera celui de Dena, étranglée par Josh dans une séquence où s'oppose le visage de Josh saisi dans un plan tremblant et orangé à celui presque apaisé de Dena, qui avec la mort, retrouve une salvatrice immobilité.