The Sky Crawlers ou la damnation éternelle

The Sky Crawlers (2008) de Mamoru Oshii ne semble pas avoir eu le même retentissement que certains de ses autres films en France, cela tient sûrement en partie au fait qu'il n'a toujours pas été distribué sur grand écran.
Au delà de l'interrogation légitime que suscite cette frilosité de la part des distributeurs français (on pourrait évoquer notamment le grandiose Southland Tales (2006) de Richard Kelly qui racontait la dissolution progressive d'une nation dans la folie, et bien d'autres encore) qui veut que même des auteurs reconnus ou tout du moins prometteurs, comme peuvent l'être Oshii et Kelly ne bénéficient plus d'une sortie systématique sur grand écran, penchons-nous sur ce beau film, qui dans la lignée des Patlabor I & II, des Ghost In The Shell et d'Avalon, porte la signature d'un auteur qui ne cesse de s'interroger sur la nature de l'homme.

-Contre qui penses-tu exactement que nous nous battons ?
-Je ne sais pas. Je n'y ai ai jamais réellement pensé.

L'histoire de The Sky Crawlers se situe dans un future indistinct, envahi d'éléments rétro divers, on y fait des références à l'Europe, mais les cartes qui défilent sur les écrans de télévision ne laissent reconnaître aucun pays.
La référence esthétique majeure est à chercher du côté de la bataille d'Angleterre qui fit dire à Churchill la phrase "Jamais, dans l'histoire des guerres, un si grand nombre d'hommes n'ont dû autant à un si petit nombre", bataille qui vit, pendant l'été 1940, la Royal Air Force repousser héroïquement une Luftwaffe supérieure en nombre, au prix de lourdes pertes.
En effet, les protagonistes sont les pilotes d'une escadrille perdue dans une campagne qu'on jurerait anglaise.
Oshii ne s'attarde jamais vraiment sur le cadre de l'histoire, se contentant de distiller discrètement quelques informations par le biais des unes de journaux et des écrans de télévisions.
Cette généricité revendiquée est une des clés du film, qui lui donne son caractère universel.
Oshii cherche par le biais de cette guerre sans fin entre deux corporations, régulée et censée être un substitut pour empêcher les "vraies guerres", à englober tous les conflits auxquels se livre l'humanité.

Collégien, un professeur d'arts plastiques avait pris une heure de son cours pour nous disséquer un dessin-animé japonais, nous montrer à quel point l'animation y était pauvre, faite, il est vrai, essentiellement d'images fixes.
Mais c'est justement là l'essence de l'animation japonaise (qui ne peut être dissociée des bandes dessinées manga), ce qu'il analysait comme une faiblesse est pour moi l'identité même de cet art, qui puise sa force dans un certain minimalisme, et cherche à raconter une histoire par le biais d'une suite de tableaux fixes à la composition puissante plutôt qu'un film à 24 images dessinées par seconde qui pourrait être (grossièrement) l'idéal de l'animation occidentale (les films en image de synthèse peuvent être perçus comme un certain aboutissement de cet idéal).
La chose est particulièrement vérifiable dans The Sky Crawlers, où les personnages songeurs sont autant de statues inanimées, continuellement prostrées dans des pauses mélancoliques.
L'animation à proprement parler n'y est souvent révélée que par des éléments tels que le vent qui fait bouger les cheveux ou l'herbe, ou la fumée d'une cigarette.
Oshii dissipe un rythme lent et contemplatif, cristallise et fige le temps pour, encore une fois, nous montrer le caractère inéluctable de l'action, montrée ici comme le symbole d'un éternel recommencement.

On comprend progressivement que les participants de cette guerre ne sont pas entièrement des humains, mais des êtres artificiels créés génétiquement par les corporations en guerre, qui ne vieillissent pas, fixés à jamais dans leur corps adolescents ... attendant seulement de mourir dans les affrontements qu'offrent le conflit.
On pense à Evangelion, de par la vision d'une jeunesse condamnée dont la seule issue se trouve dans une mort violente.
On pense aussi à On achève bien les chevaux de McCoy, référence sublimée par le fait que même la délivrance dans la mort que veut offrir Kusanagi à Yûichi se trouverait tragiquement contrariée par un processus de réincarnation partielle (sans mémoire, si ce n'est résiduelle, composante majeure et essentielle de l'individu) dans un autre corps, les corporations ne pouvant se permettre de perdre l'expérience engrangée au combat.
Les personnages se trouvent ici condamnés à revivre à l'infini un combat stérile et absurde, fantômes sans passé ni futur, errant à jamais sans but, des sacrifiés sur l'autel de la bêtise humaine, puits sans fond si il en est.