Le Prestige, le prix de l'illusion

Il est certains auteurs chez qui il me faut parfois attendre un film déclic avant de leur délivrer ce statut dans mon esprit, éclairant d'un coup une filmographie alors sous-estimée, incomprise ; par exemple, c'est à la vision de Bullet Ballet (1998) de Tsukamoto, que la signification de Tetsuo (1989) et Tokyo Fist (1995) m'est apparue aussi limpide qu'elle me semblait obscure auparavant.

Ma rencontre avec Christopher Nolan s'est faite aussi en deux temps ; la première vision de Memento (2000) n'avait provoqué chez moi qu'une pointe d'agacement ; levier narratif artificiel et lourd, direction d'acteur cheap ... me laissant la même impression que beaucoup de ces films à petit budget dont la seule ambition, semble de se démarquer, de faire un coup d'ordre plus mercantile que cinématographique.
Following (1998) ne m'a laissé aucun souvenir précis, si ce n'est un vague d'ennui ... et j'avais regardé paresseusement Batman Begins (2005), sans vraiment en retirer d'opinion.

C'est en découvrant Le Prestige (2006 - The Prestige), qui raconte la rivalité destructrice entre deux magiciens gangrénés par leur ambition et la haine de l'autre que mon sentiment a basculé.
Le film s'applique à montrer le déséquilibre entre l'illusion et le prix énorme à payer pour la créer ; l'illusion ne nait que du fait qu'aucun spectateur n'envisage sérieusement un tel sacrifice pour un si futile résultat.
La magie, ici symbole des arts de l'illusion en général (dont le cinéma), est désacralisée dès le départ, où l'on nous montre comment un oiseau est tué pour la réalisation d'un tour des plus modeste... mais entraînés dans une spirale haineuse, les deux magiciens sont amenés à aller beaucoup plus loin dans la démesure... l'idée centrale du film convoque Nikola Tesla, archétype du savant fou romantique (le personnage est délicieusement interprété par David Bowie), qui à la demande de l'un des deux magiciens, tente de construire une machine permettant la téléportation mais n'aboutit qu'à un appareil permettant de créer des doubles.. Le magicien commanditaire, Robert Angier (Hugh Jackman) s'en aperçoit dans un plan magnifique, déjà montré en tout début de film, mais qui n'avait alors aucune signification, et empli désormais de fatalisme.
Assoiffé de gloire et désireux plus que tout de surpasser son rival, Robert Angier va planifier la plus horrible des idées afin de permettre à la machine de Tesla de produire l'effet de téléportation recherché ; puisqu'une copie du sujet qui rentre dans la machine est bien téléportée, ne reste plus qu'à supprimer l'original pour que l'illusion opère... et d'accepter ainsi de mourir noyé (comme sa compagne en début de film, à cause d'un nœud trop serré) tous les soirs de représentation, à l'aide d'une trappe qui le fera basculer dans un bassin, tandis que son double apparaîtra de l'autre côté de la salle.

Le thème du double est ici décliné à volonté... Alfred Borden (Christian Bale) se révèlera être en fait deux jumeaux, qui endossent tour à tour le rôle du magicien, leur permettant ainsi, au prix d'une vie de mensonge, de faire un tour inimitable... Robert Angie, essayera d'abord d'utiliser un sosie, procédé trop précaire et qui l'oblige à renoncer au prestige, dernière partie du tour assurée par le sosie, avant d'aller voir Tesla ; les deux protagonistes eux-mêmes, ne sont que le reflet l'un de l'autre, leur rivalité acharnée et son déchainement sont la représentation d'une égale ambition auto-destructrice.
Le film va crescendo, et jusqu'à l'absurde, dans la description de l'anéantissement de leurs vies et des moyens utilisés par les deux magiciens pour surpasser l'autre ... allégorie amère du prix de la réussite, et faisant émerger chez moi, le sentiment d'un auteur, tout du moins celui d'un artisan élégant et lucide, sensible à certains thèmes, et qui traite avec un réalisme toujours parcouru d'une certaine mélancolie, de la folie qui guide les hommes, et qui bien souvent les perd.