Batman par Schumacher, la ville comme une projection mentale

Après les deux films d'un Tim Burton plus directeur artistique que cinéaste ; Batman (1989) et Batman, le défi (Baman returns - 1992) - c'est surtout vrai pour le premier, qui comparé avec ses films les plus récents, permet de mesurer tous les progrès réalisés quant au dynamisme de sa mise en scène, aux dépens, certainement, d'une candeur et d'une naïveté doucement anachroniques - et bien avant ceux de Christopher Nolan, Batman Begins (2005) et The Dark Knight (2008), ancrés dans un réalisme post-11 septembre et mondialisé, décrivant un Batman symbole d'une Amérique sécuritaire et usant d'ingérence, se trouvent les deux films de Joel Schumacher, réalisateur à la filmographie chaotique, tant dans les thèmes abordés que dans la réussite artistique des œuvres qui la composent ... difficile d'y discerner une identité claire, concept sur lequel les cinéphiles aiment à se reposer, parfois paresseusement.

Avec Batman Forever (1995) et Batman & Robin (1997), les vœux des dirigeants de la Warner qui jugent les films de Tim Burton trop sombres, se trouvent exaucés au-delà de leurs attentes.
Les deux films, bariolés à l'excès, penchent très fortement du côté de la série pop des années soixante ; à un Batman/Bruce Wayne (Val Kilmer puis George Clooney) fade, tiède et aseptisé, à l'idéologie sotte ("les humains d'abord" répond-il au docteur Isley/Poison Ivy qui tente de le convaincre de la nécessité de sauver la planète d'un désastre écologique), armé de gadgets ridicules et flanqué de son acolyte propret Robin, s'opposent des méchants hauts en couleurs ; Double Face, l'Homme Mystère (ce dernier est d'ailleurs interprété par un Jim Carrey cabot comme jamais) puis Mister Freeze et Poison Ivy ... la direction d'acteur rappelle d'ailleurs celle plus théâtrale d'une époque révolue.

La ville de Gotham City, assemblage baroque et désordonné d'esthétiques monumentales, explose sous les couleurs criardes, tapissée des tons roses-orangés de Double Face, du vert de l'homme Mystère et d'Ivy et du bleu de Freeze, et est montrée comme un lieu décadent et perverti, emplie de bandes de jeunes criminels aux tenues fluorescentes et d'une classe dirigeante qui affiche un luxe racoleur lors de soirées débridées qui rappellent l'insouciance des années folles.
Cette ville-patchwork peut être vue comme une projection de la vision déformée et malade qu'a Batman/Bruce Wayne de la société, une société qui l'effraie et à laquelle il n'appartient pas, retranché dans le havre tranquille du manoir Wayne ... une plèbe puante et dégénérée qu'il tente désespérément de sauver de la folie qui la contamine, essayant de sauvegarder les vestiges d'un monde bourgeois idéalisé, et qui déjà n'existe plus que dans sa tête.
Batman par Schumacher, c'est l'incarnation névrosée d'une élite terne, passéiste et réactionnaire, qui, à l'écart, regarde avec anxiété et fascination un monde en effervescence, qu'elle cherche à soigner sans jamais réussir à le comprendre, arguant pour cela d'un droit qui lui semble légitime.