Dans une grande partie du cinéma, la technologie est montrée de manière quasi-systématique comme un élément qui vient briser le lien entre l'homme et la nature (Terry Gilliam, ...), interposant entre eux une prison sensorielle, modelant une nouvelle réalité désincarnée (Jonhatan Mostow avec Terminator 3 : Rise of the machines et Surrogates).
L'homme transformé par la technologie devient un monstre au fur et à mesure que son lien avec la nature s'étiole (David Cronenberg, Hayao Miyazaki).
Tout au long de sa brillante filmographie, Mamoru Oshii n'a eu de cesse de s'interroger sur cette même technologie et la manière dont elle bouleverse effectivement notre rapport à la réalité, mais d'une manière autrement moins viscérale que nombre de ses confrères, toujours emplie d'une certaine mélancolie mais en délaissant en partie les préjugés moraux et culturels qui bien souvent viennent bruiter les réflexions sur ce thème, se rapprochant en cela d'un Philip K. Dick.
Dans Ghost in the Shell, déjà le générique de début apparaît sous des flots de codages numériques... les corps des protagonistes sont en grande partie synthétiques, n'appartiennent plus à l'esprit qui les fait se mouvoir mais au gouvernement et exigent une maintenance lourde et régulière afin de fonctionner correctement.
Ce rapport contraignant à la réalité, cette dissociation radicale entre corps et esprit font émerger un mal-être, un spleen omniprésent chez le major Kusanagi. Elle n'a de cesse de se demander où se trouve sa réalité, elle qui n'a plus de consistance dans celle-ci, si ce n'est par l'intermédiaire d'un corps-armure qui lui permet encore d'interagir avec notre monde, mais de manière trop distante et indirecte pour lui masquer l'illusion de ce procédé.
Une des scènes clés du film nous la montre plongeant en mer, son corps synthétique s'enfonce dans l'eau en pleine nuit, comme en apesanteur, autant pour nous figurer le baptême que le liquide amniotique... dans l'obscurité de la confusion et du doute, c'est ici une renaissance qui lui est offerte, elle qui fusionnera à la fin du film avec l'entité entièrement artificielle qu'elle cherche avec une insistance qui ne tient pas qu'au cadre de sa mission, débarrassée, délestée de ce corps, cette coquille désormais vide qui l'entraînait tantôt dans les fonds abyssales de l'océan.
Dans Innocence, la scène la plus audacieuse du film est le piratage du ghost des protagonistes, qui se retrouvent bloqués dans une boucle temporelle, revivant toujours la même action à de légères différences près.
Le spectateur assite décontenancé à ces répétitions que la continuité rend dans un premier temps presque naturelles. Là se trouvent esquissées les limites de notre perception et de notre mémoire manipulables à souhait.
Cette mémoire, réceptacle capricieux et évolutif de notre réalité intime, de plus en plus assistée et dépendante de la technologie, parasitée par les réminiscences d'autres vies chez les kildrens de The Sky Crawlers, piratée et en bouillie chez les petites crapules de Ghost in the Shell, dont la conscience désormais peine à surnager. Un éboueur qui se rattache à une photo de sa femme et sa fille - en fait inexistantes - seule projection palpable d'un monde artificiel, sa réalité, qui s'écroule sous les révélations des membres de la section 9.
- Pas la peine de m'arrêter, de toute façon, je parlerai pas, sales flics !
- Parler ? Et de quoi pourrais-tu bien parler toi ? Tu ne sais même pas comment tu t'appelles, espèce d'abruti.
- ...
- Peux-tu te souvenir du nom de ta mère ou de son visage ? Tu sais où tu es né ? Dans quel pays ? As-tu des souvenirs d'enfance ? De tes amis ? Sais-tu seulement qui tu es ?
Cette mémoire, réceptacle capricieux et évolutif de notre réalité intime, de plus en plus assistée et dépendante de la technologie, parasitée par les réminiscences d'autres vies chez les kildrens de The Sky Crawlers, piratée et en bouillie chez les petites crapules de Ghost in the Shell, dont la conscience désormais peine à surnager. Un éboueur qui se rattache à une photo de sa femme et sa fille - en fait inexistantes - seule projection palpable d'un monde artificiel, sa réalité, qui s'écroule sous les révélations des membres de la section 9.
- Pas la peine de m'arrêter, de toute façon, je parlerai pas, sales flics !
- Parler ? Et de quoi pourrais-tu bien parler toi ? Tu ne sais même pas comment tu t'appelles, espèce d'abruti.
- ...
- Peux-tu te souvenir du nom de ta mère ou de son visage ? Tu sais où tu es né ? Dans quel pays ? As-tu des souvenirs d'enfance ? De tes amis ? Sais-tu seulement qui tu es ?
Dans Avalon, le lien entre le monde réel et l'héroïne Ash (cendre en anglais) disparaît petit-à-petit. Déjà pour elle la réalité se trouve ailleurs.
Lorsqu'elle s'extrait du jeu, ce n'est que pour contempler un monde aux teintes sépias, terne et immobile : les habitants qui l'occupent semblent sans âmes, figés dans le métro ou dans la rue, aux fenêtres des immeubles, contrastant avec le dynamisme du jeu (peut-être faut-il y voir une des raisons du choix d'Oshii de réaliser ce film en live plutôt qu'en animation, tant l'inconsistance de ces silhouettes immobiles - l'immobilité fait pleinement partie des codes et du style de l'animation japonaise - et la puissance des contrastes qu'il en tire s'en trouvent ici démultipliés).
Son basset (figure incontournable chez Oshii, qui représente souvent le reliquat du lien existant entre ses héros solitaires et la nature), l'un des derniers êtres qui la rattache à ce monde disparaît au milieu du film.
Cette inversion entre la vraie vie et le jeu chez Ash trouve son apogée lorsqu'elle réussit à pénétrer dans le niveau caché du jeu appelé "class real", elle y découvre non pas un univers fantaisiste comme dans les autres niveaux d'Avalon mais un monde tangible, plein de vie et d'animation, qui semble à même de combler le vide de sa "vraie" vie et tranche avec l'irréalité de cette dernière, ce niveau est filmé et rendu de manière quasi documentaire... simplement réaliste en fait.
C'est peut-être dans ce décalage ou cette nuance entre le "vrai" et le "réel" qu'il convient de chercher une des causes de la morosité des personnages d'Oshii.