Incassable, une profession de foi


Les producteurs qui se frottaient les mains à la sortie de Sixième Sens (1999 - The Sixth Sens) ont eu le temps de déchanter avec les films suivants de Shyamalan, qui va crescendo dans un refus du conformisme hollywoodien.
En arborant une thématique constante tout au long de ses films ayant comme vecteur premier la foi et des choix de traitement rigoristes dans la forme, Shyamalan s'affirme tout au long de sa filmographie comme un auteur décalé par rapport aux exigences économiques des longs métrages à gros budget.
Voyons comment, avec Incassable (2000 - Unbreakable), Shyamalan entame une fracture irrémédiable avec le cinéma commercial hollywoodien.

Incassable, pour moi le meilleur film de son auteur, donne le ton d'une œuvre dénotant singulièrement avec la vision hollywoodienne du super-héros, tout en s'attachant à en souligner les enjeux philosophiques propres à ce type de fiction.
Traitant de la genèse pénible d'un super-héros et de son double machiavélique, Shyamalan préfère s'attarder sur les relations familiales délicates du personnage, découlant en grande partie de sa nature de super-héros, mettant en lumière la fatalité dans la condition de tout super-héros, qui ainsi, se voit écarter de ceux qu'il a juré de protéger et trouve finalement comme seul reflet, celui qu'il doit combattre.

L'incrédulité du héros quant à sa condition, son non-costume de super-héros ; une casquette et une simple tenue imperméable, la touchante scène d'ouverture tournée du point de vue d'un enfant qui le regarde, essayer maladroitement de flirter avec sa voisine dans un train, ou celle dans laquelle David Dunn (Bruce Willis) combat un méchant "ordinaire" en se contentant de l'agripper par derrière jusqu'à ce que ce dernier, de guerre lasse, abandonne la lutte, sont autant d'éléments qui permettent à Shyamalan de se démarquer du spectaculaire habituel propre à tout film de super-héros.

Cette incrédulité première de David contraste avec la foi infinie et pathologique d'Elijah Price (Samuel L. Jackson) dans son destin, n'ayant de cesse de rechercher son inverse parfait, seul capable d'accréditer cette thèse ... deux faces inséparables d'une même pièce. La création de l'une aboutissant fatalement à celle de l'autre dans ce qu'on appellerait en logique une relation de réciprocité.

L'affiche, pied de nez au titre du film, n'est en rien innocente, qui montre un miroir brisé dans lequel on peut voir à la fois David et Elijah, symbole du point de vue de Shyamalan ; respectueux des codes propres au genre (qu'il ne cesse d'expliciter à travers le personnage de Price) et iconoclaste dans son traitement, afin de redonner une substance et une profondeur à une sous-culture trop souvent diluée dans son traitement cinématographique.