Le rapport à l'Histoire dans le cinéma de Ridley Scott

L'Histoire, les figures et évènements qui la parcourent, occupent une place de choix dans la seconde moitié de la filmographie de Ridley Scott, on peut faire ressortir cinq films, soit dans l'ordre chronologique de production : 1492, Christophe Colomb, Gladiator, La Chute du faucon noir, Kingdom of Heaven et enfin Robin des Bois.

On peut aussi opérer une dichotomie au sein de ces films en séparant du reste 1492 et La Chute du faucon noir ... en effet, ces deux films se présentent comme des reconstitutions à part entière d'évènements historiques, soulevant de facto et avec une certaine légitimité la question de la véracité des faits et du point de vue adopté.
La fiction, surtout hollywoodienne, ne devrait jamais prétendre à un statut aussi frontal de reconstitution historique, tant ses mécanismes internes paraissent être en totale contradiction avec ceux des sciences humaines.
D'ailleurs, les deux films se perdent dans cette insoluble problématique, particulièrement La Chute du faucon noir, où la mise en scène se fourvoie dans un spectaculaire qu'on sent en grande partie inspiré par les techniques créées par Steven Spielberg et Janusz Kaminski pour le film Il faut sauver le soldat Ryan et dans un scénario qui accumule sans aucune distanciation les dialogues douteux dans la bouche de soldats américains dont la réputation en terme d'ouverture sur les cultures étrangères et de compréhension des subtilités des mécanismes de la géopolitique mondiale n'est plus à faire.

Avec Gladiator, Kingdom of Heaven et Robin des Bois, le rapport à l'histoire se veut beaucoup moins étroit :
Gladiator et Robin des Bois sont des films d'action qui érigent un personnage mythique au sein d'un contexte historique où la véracité n'a dès lors plus aucune importance ... seule comptant la dimension dramatique ... portée par ces personnages symboles d'un idéal de justice, qui tranchent d'autant plus avec leur entourage qu'ils n'ont aucune existence historique réelle ou avérée ... (dans Gladiator, comme dans Kingdom of Heaven, les héros refusent le pouvoir qui leur est offert (et la postérité qui l'accompagne), ce refus pointe autant la droiture et le désintéressement des personnages que leur dimension non-historique ... une frontière infranchissable entre eux et Marc Aurèle ou Baudoin IV, figures historiques, même si Balian d'Ibelin a réellement existé et défendu Jérusalem, son histoire est toute autre que celle du forgeron du film).
Gladiator est une tentative plutôt agréable de mise au goût du jour du Péplum, le film ne se situe pas dans un rapport à l'Histoire mais plus sûrement dans la continuité d'un genre cinématographique qu'il entend dépoussiérer et confronter aux nouvelles technologies.
Dans le cas de Robin des Bois, l'aspect légendaire est encore plus habilement mis en valeur grâce à cette figure qui appartient autrement plus au cadre du cinéma qu'à l'Histoire (Le traitement du film dans sa globalité semble obéir à une volonté d'opposition à un référentiel purement cinématographique, voir par exemple le personnage de Richard Coeur de Lion, au passage trait d'union plutôt étrange entre Kingdom of Heaven et Robin des Bois).
On pense notamment à la référence faite au père de Robin, tailleur de pierre exécuté pour avoir gravé un texte réclamant une plus grande égalité entre les hommes ... Robin devant dès lors être perçu comme l'héritage de cet homme ... un idéal.

Concernant Kingdom of Heaven, le film demande surtout à être vu dans le contexte des guerres post-11 septembre menées conjointement par les Etats-Unis et leurs alliés, en Afghanistan puis en Irak.
En prenant le parti de dénoncer un fanatisme religieux et belliqueux, le film vise avant tout les extrémistes des deux côtés des belligérants, une réponse directe à la "croisade du Bien contre le Mal" de Georges W. Bush.
Souvent de manière emphatique, le film caricature quasi-systématiquement toutes les figures religieuses : le demi-frère de Balian, prêtre haineux et jaloux, l'évêque de Jérusalem ou le conseiller religieux de Saladin. On pourrait ajouter à cette liste, le pape mais d'une manière plus indirecte, notamment lors du voyage, en route vers Messine, où un prédicateur illuminé scande les paroles du pape : "tuer un infidèle n'est pas un meurtre, mais le chemin vers le paradis".
A l'opposé, toutes les scènes de combat sont filmées avec une certaine gravité ... loin de phagocyter la narration du film car souvent traitées de manière elliptique (la bataille de Hattin dont on nous montre seulement le charnier final ou le plan séquence elliptique lors de l'assaut des remparts de Jérusalem qui voit la caméra s'élever de la masse grouillante des combattants pour ne finalement montrer, par un fondu numérique, que les corps gisants après l'affrontement ... les teintes colorées du début du plan laissant place à un bleu plus froid et le mouvement se dissipant lentement) ou bien seulement en quelques plans symboliques (l'assaut d'une caravane par Renaud de Chatillon et Guy de Lusignan où l'on voit uniquement le visage de ce dernier éclaboussé du sang des victimes de son épée).