L'Odyssée de l'African Queen, Dieu seul le sait

L'Odyssée de l'African Queen (The African Queen - 1951) et Dieu seul le sait (Heaven Knows, Mr Allison - 1957).
Deux films de John Huston qui racontent l'amour, pas l'idéal, aseptisé et évident.
Celui-ci est bancal, un peu gauche, il ne nait pas de la pureté des sentiments mais de l'urgence de la situation, de la solitude, du marasme.
Les protagonistes ne correspondent pas aux canons du genre ... leurs corps ne sont plus faits pour l'amour, plus très jeunes, pas vraiment attirants ... il faut attendre que Rose Sayer (Katharine Hepburn) soit véritablement regardée par Charlie Allnutt (Humphrey Boggart) avant de devenir belle ... au départ, cette vieille fille, sœur dévouée d'un pasteur, esseulée dans la jungle africaine ne renvoie que la sécheresse guindée, qui cache sous les règles de la bienséance le douloureux sacrifice de sa vie sentimentale.
Sœur Angela (Deborah Kerr) est une none, mariée à son dieu, l'impossibilité de l'union avec le caporal Allison (Robert Mitchum) est symbolisé par ce peigne qu'il lui confectionne et dépose pudiquement près de sa couche en offrande, lui imaginant une longue chevelure blonde ondulée derrière son voile ... il n'en est rien, elle lui explique qu'elle a été tondue dès son entrée dans les ordres.
Si les femmes sont pieuses, les hommes sont rustres, de peu de manière, délavés par la vie. Humphrey Bogart est un baroudeur solitaire porté sur la bouteille, Robert Mitchum se décrit comme un vieux soldat qui a trouvé dans l'armée la famille qu'il n'a jamais eu.

Dans les deux films, c'est la guerre qui sert de catalyseur, elle qui isole les personnages puis les soude l'un à l'autre, figurant ainsi un vertigineux contraste entre ces masses hystériques qui s'entre-tuent et ces deux êtres qui se dévoilent progressivement l'un à l'autre.
Pour encore mieux les séparer d'une société devenue folle, John Huston filme ses personnages dans une nature primitive, l'Afrique sauvage et une île du Pacifique, revisitant non sans ironie le mythe d'Adam et Ève.
A l'intérieur de cet espace, il leur crée des cocons protecteurs qui forcent encore la promiscuité ; l'African Queen, petit vapeur délabré et la grotte de Dieu seul le sait. Huis-clos jamais pesants.

Les deux films se finissent par le sabotage des armes de guerre du camp ennemi (le vapeur allemand qui bloque le passage au fleuve à la marine britannique et les canons japonais qui menacent le débarquement des américains sur l'île), ce retour héroïque à la civilisation est porté par une une volonté nouvelle, née de l'union des deux protagonistes ... Peu importe que leur amour ne soit pas physique ou complètement avoué (Heaven Knows, Mr Allison - le titre est explicite), c'est ce geste qui le concrétise réellement aux yeux du monde, il en est la projection visible, palpable (percutante même dans le cas de The African Queen).