L'Enfer du dimanche

Semblant aujourd'hui démodé, le cinéma d'Oliver Stone offre trop souvent une vision caricaturale, outrageusement grossière de la société américaine pour être vraiment considéré ... soulignée par une mise en scène nerveuse, qui, plus que d'autres semble avoir subie les outrages du temps.
L'homme a quand même signé quelques bons films, qui tirent d'ailleurs leur force de cette énergie jamais totalement maitrisée ... charges lourdes, pataudes ... imprécises mais qui, mises bout-à-bout nous laisse entrevoir le regard paradoxal que porte cet américain, vétéran de la guerre du Vietnam, sur son pays ... un regard critique naïf (parfois proche de la paranoïa) mais toujours subjugué.

L'Enfer du dimanche (Any Given Sunday - 1999) porte tout le poids du cinéma de Stone sur ses épaules.
A travers cette critique un peu scolaire de l'univers du football américain professionnel, c'est l'Amérique toute entière qui est visée ... montrée ici comme une nouvelle Rome ... aussi cruelle et décadente que l'antique, la métaphore est appuyée au marteau, notamment lors d'une scène entre Tony D'Amato (Al Pacino) et Willie Beamen (Jamie Foxx) entrecoupée avec la séquence de la course de char du film Ben Hur.

Le film est le portrait d'un coach vieillissant qui jette sur son sport un regard certes amoureux et passionné, mais aussi dépité en constatant son évolution cynique (symbolisée par Cristina Pagniacci (Cameron Diaz) la propriétaire du club et opposé parfait du coach, y compris dans les traits physiques) et les sacrifices qu'il lui a concédé, au détriment de sa famille, qui, tout au long du film brille par son absence ... D'Amato semble toujours errer seul dans une maison trop grande pour lui, Stone le filme en train de regarder des photos de sa famille brisée, ou parler au répondeur de son ex-femme ... la scène la plus pathétique étant celle où, vainement, il tente de normaliser ses relations avec une prostituée de luxe, la réponse terrible finit de souligner la solitude du coach.
Au final la plupart des protagonistes sont détruits par le jeu : les joueurs physiquement traumatisés au crépuscule de leur carrière à l'image du vieux quaterback Jack 'Cap' Rooney (Denis Quaid) ou du défenseur Luther 'Shark' Lavay (Lawrence Taylor), Margaret (Ann-Margret), la mère de Cristina, abrutie par l'alcool, ...

Au-delà du coach D'Amato ou de l'ascension du jeune quaterback Beamen, c'est tout un microcosme qui est dépeint (le casting est impressionnant), Any Given Sunday aborde consciencieusement toutes les facettes du football.
Les intrigues et récupérations politiques, l'argent, les rivalités inhérentes au sport, le star system qui n'en finit plus de pervertir les joueurs et le sport qu'ils pratiquent, la course aux bonus, aux primes (au mépris de la vie ou de la santé), le dopage et la légèreté de l'éthique médicale avec le portrait de deux médecins, un vieux cynique (James Woods) et un jeune, idéaliste (Matthew Modine) mais dont on devine qu'il finira comme l'autre, las.
Tous ces excès se reflètent dans la mise en scène stroboscopique de Stone qui fait merveille pour retranscrire l'ambiance d'un match ... la caméra, montée sur ressort n'a de cesse de passer d'une foule galvanisée, agressive et violente aux protagonistes : la jeune propriétaire, le coach et son staff, les joueurs, les journalistes ... le tout entrecoupé de visions clipesques de pom-pom girls et de jingles publicitaires.
Les musiques s'enchaînent, elles aussi, à un rythme effréné qui tient presque de l'absurde.
Cet ensemble, ce magma finit par faire transpirer de certaines séquences l'hystérie collective, la transe cathartique et religieuse qu'est devenu le sport aux Etats-Unis.