Smokin' Aces, contempler la mort


Film foisonnant que ce Smokin' Aces (2006) de Joe Carnahan, déjà réalisateur du sombre Narc (2002).
Éclairé par la mise en scène dynamique et en parfaite synergie avec une narration éclatée, toute en transition, qui passe constamment d'un personnage à un autre, le spectateur découvre une galerie de tueurs à gages, chasseurs de primes, agents du FBI qui convergent tous vers un casino près du Lac Tahoe à la recherche de Buddy Israël, magicien de Las Vegas qui s'est trop mouillé avec la mafia.
Le film mélange les styles sans complexe, et l'on passe alternativement d'un thriller policier qui montre des agents fédéraux trahis et sacrifiés par une direction rongée par le secret et la manipulation, condamnée à répéter les mêmes erreurs, à l'épopée étrange d'un chasseur de prime baladé par les évènements, ou l'histoire d'un second couteau lâché par son magicien de patron qui rencontre l'âme sœur dans le chaos des fusillades, sous les traits d'une tueuse professionnelle qui trahira un peu l'amour à peine dissimulé que lui portait sa coéquipière qui, tragiquement, se laissera tuée, etc ...

Tous ces univers se croisent, s'entrechoquent avec violence ou se ratent dans un souffle leonien, véritable liant du film ... comme dans cette scène où les frères néo-nazis tuent brutalement les chasseurs de primes, et qui sur le thème musical de Morricone dans la scène de Le Bon, La Brute et Le Truand (1966 - The Good, the Bad and the Ugly) où Blondin faisait fumer un jeune soldat agonisant sur le champ de bataille, nous montre l'un des frères mimer un dialogue avec l'une de ses victimes en bougeant lui-même les lèvres du cadavre.

-Je te pardonne Darwin
-Merci, ça me va droit au coeur mon vieux
-S'il me fallait ta voiture par ce que moi et mes frères, on était recherché, je t'aurais tué aussi tu sais
-C'est vrai ?
-Ah ça oui ... on était au mauvais endroit, au mauvais moment ... t'es vraiment un type bien
-T'as tout compris, ça va aller
-Tu sais le paradis ici c'est merveilleux
-Ah oui ?
-Je t'y retrouverai un jour
-T'en es sûr ?
-J'en suis sûr

Ou cette autre scène où un tueur implacable accompagne tendrement sa victime dans son agonie, en maître de cérémonie consciencieux ... comme si son métier ne consistait plus seulement à le tuer mais aussi à le guider, lui faire découvrir la mort.

-C'est quoi ? Mon sang ?
-Oui c'est ça ... ça envahit tes poumons, détend-toi ... dans moins d'une minute tu vas t'asphyxier et perdre conscience, mais ne t'inquiète pas, ça ne sera pas douloureux OK ?
OK, on y est ... ça va, ferme tes yeux ... ferme les yeux ... ferme les yeux ... ferme les yeux car ce visage ne doit pas être la dernière chose que tu vois ... [en espagnol] parce que le ciel pourrait ne jamais te le pardonner.
-Je suis en train de mourir ?
-Bill ... Bill ... oui William ... on mourra tous ...

En cela, les tueurs de Smokin' Aces sont des personnages leoniens, des êtres en marge d'une société que les préoccupations ordinaires ne peuvent atteindre, anges de la mort, errants, ne semblant pouvoir succomber que sous les balles d'un de leurs semblables ... penseurs nihilistes dont la seule affaire semble d'appréhender la mort, l'unique chose capable d'éclairer leurs yeux ennuyés, et de la contempler encore et encore, fascinés.