Baz Luhrmann, fiction mon amour


Dans son rapport à la fiction, Baz Luhrmann peut apparaître comme le parfait opposé d'un Michael Haneke... là où ce dernier, inquisiteur (et castrateur), n'a de cesse de s'insurger contre le mensonge que représente pour lui la fiction en la dépouillant de tous ses attributs, guidé en cela par un raisonnement quasi-tautologique, Luhrmann en semble au contraire fou amoureux... chacun de ses films est une déclaration enflammée, gonflant avec gourmandise les codes narratifs et cinématographiques qui la composent.

Il faut plus que du courage aujourd'hui pour monter des films comme Moulin Rouge ! (2001), Australia (2008) ou Romeo + Juliette (1996)... Toujours outrageusement mélodramatiques, mettant en scène des personnages manichéens et des thèmes romantiques... principalement des histoires d'amour contrariées par le destin, avec un traitement formel grandiloquent et artificiel au possible ; éclairages travaillés, couleurs éclatantes, mouvements de caméras et montages excessivement visibles... ses films ne nient jamais ni n'essayent d'échapper à leur nature fictionnelle, bien au contraire, ils n'ont de cesse de le clamer, de s'en revendiquer de la plus forte des voix.

Dans Australia... cette nature est affirmée à l'aide du jeune narrateur qui donne à l'histoire une patine de conte décalé et grâce à l'utilisation en fond du contexte politico-social de l'Australie ainsi que de la seconde guerre mondiale qui agissent ici comme des éléments dramatiques englobant de manière démesurée l'histoire personnelle des trois protagonistes... Luhrmann multiplie aussi les références au Magicien d'Oz... film où l'héroïne, à l'instar d'un spectateur de cinéma, se retrouve propulsée dans un monde imaginaire.
La musique pop dans Moulin Rouge ! et les dialogues de Shakespeare dans Roméo + Juliette constituent quant à eux des emphases du langage... ces deux procédés sont aux dialogues classiques de cinéma et au langage courant qui les composent habituellement ce que la fiction est à la vie... une exagération artistique et symbolique.
De manière différente, dans les deux films, théâtre et vie des protagonistes du film se confondent.
Très directement dans Romeo + Juliette qui reprend fidèlement les dialogues originaux de la pièce mais les confronte à un contexte moderne, l'action étant déplacée de la Vérone de la Renaissance à Venice Beach aux Etats-Unis... en gardant ce lien avec la pièce originelle, Luhrmann érige ainsi une barrière infranchissable entre son film et la réalité... une constante dans son cinéma foisonnant.
Dans Moulin Rouge, Satine (Nicole Kidman), matérialiste au début, muse amoureuse à la fin, lutte pour que la fiction théâtrale puisse aboutir en dépit des pressions exercées par son financier le Duc qui, comprenant que l'histoire de la pièce n'est qu'une métaphore de la situation réelle, insiste pour en faire changer la fin, comme si cela pouvait aussi faire pencher le cœur de Satine de son côté au détriment du jeune auteur bohème (Ewan McGregor).
Tout au long du film, la vie des personnages et la pièce de théâtre s'enlacent dans une danse envoutante et hypnotique jusqu'à se confondre lors de la première représentation... les personnages non-comédiens envahissant alors l'espace scénique de la pièce qui à son tour déborde sur tout le Moulin Rouge, cadre principal du film.
Satine, mourante, succombe à la fin de la représentation... elle qui rêvait de devenir une "vraie" actrice sera finalement bien plus... une héroïne de tragédie à part entière... son âme, et pas juste son éphémère et ponctuelle incarnation.
Avec provocation et excès (le propre de la fiction), mais toujours sans cynisme, Luhrmann n'en finit plus d'aimer la fiction et l'énergie dramatique qui la compose, cherchant constamment à la faire grossir... comme pour mieux témoigner ce cette idylle aux yeux du public.