À propos de Mel Gibson

Acteur déjà, les choix d'interprétation de Mel Gibson semblaient guidés par une notion toute catholique de la vertu sacrificielle.
Cette vison de la souffrance physique, de l'acceptation de la douleur comme voie vers une rédemption ou vers une élévation spirituelle et morale tient chez lui beaucoup de la caricature, voire du fanatisme.
Son personnage de Martin Riggs dans la série Lethal Weapon en est un exemple frappant (...) :
Dans ces films de Richard Donner qui prônent une défense musclée des valeurs familiales contre divers maux de la société (mafias, drogues, corruption, pornographie, ...), Riggs est introduit comme un jeune veuf dévasté qui lutte chaque jour contre le suicide (les trois premières scènes d'action le montrent respectivement affronter à découvert un tireur isolé qui tire sur des enfants avant de lui vider un chargeur entier dessus, une arrestation solitaire de dealers de cocaïne, quand l'un d'entre eux le braque par surprise, Riggs répète compulsivement "Tue-moi ! Tue-moi !", puis le sauvetage d'un suicidaire qui menace de sauter d'un immeuble, Riggs le rejoint et se menotte à lui par surprise, devant les menaces réitérées de l'homme, Riggs le force à sauter avec lui, ils atterrissent finalement sur un tapis gonflable déployé par la police.
Riggs entretient un rapport pathologique à la douleur, c'est même le ciment de la série (on peut notamment le voir se faire torturer ou se remettre lui-même une épaule déboîtée)... Dans le troisième volet de la série, on assiste ainsi à une étrange scène de séduction entre Riggs et Lorna Cole (Rene Russo), qui les montrent, exhibant leurs multiples cicatrices et stigmates en même temps qu'ils se déshabillent.

Dans Payback de Bryan Helgeland, le remake de Point Blank (au passage produit par Icon (...), sa maison de production), son personnage n'a plus grand chose à voir avec celui de Lee Marvin... beaucoup moins sombre, il tient plus de la relecture du Riggs des Lethal Weapon, Payback détourne l'oeuvre de Boorman pour n'offrir que de longues séquences d'un masochisme placide et déterminé (le scénario lui fournit un étrange pendant féminin en la personne de Pearl interprétée par Lucy Lui, experte en sadomasochisme).
Porter semble rechercher dans la douleur physique un sens nouveau à sa vie dévastée.
Il y est décrit comme une figure christique déviante : avec une certaine ironie une des premières scènes montre Porter prendre l'argent d'un sans abris qui fait la manche en se prétendant infirme, quand ce dernier se lève pour protester, Porter lui assène un coup avant de dire "Ta gueule, je t'ai guéri".

Sa première réalisation, Braverheart, raconte l'histoire de William Wallace, héros écossais qui résista au roi anglais Edouard Ier.
Plutôt poussif et emphatique, le film est surtout remarquable dans sa description des batailles moyennageuses, filmées avec une fureur et un réalisme inconnus jusqu'alors mais qui feront école et serviront incontestablement de nouvelle référence visuelle dans ce domaine.
Là aussi, Gibson fait de William Wallace une figure quasi-christique, qui se sacrifie pour le bien de sa communauté, et qui, capturé, se retrouve torturé les bras en croix devant une foule prise en pitié. Avec une mise en scène et le jeu tout en nuances qui le caractérisent (...), on l'entend finalement crier "Liberté" avant d'être achevé.

Avec sa version de La Passion du Christ, Gibson enfonce encore plus le clou (...) ; on peut tracer un parallèle entre son style de jeu et sa mise en scène ou son écriture, tous sont sans aucune subtilité, outrageusement démonstratifs. Mais il convient de lui reconnaître un sens certain et acharné de la fureur.
La grande idée du film est d'avoir tourné le film dans les langues originelles des protagonistes, à savoir le latin et l'araméen. Malheureusement, elle semble ici devoir servir une légitimité ou un réalisme revendiqués par Gibson alors que son film n'est au final qu'une boursouflure outrancière, développant une imagerie biblique pauvre et de mauvais goût.
Là sont les limites de Gibson, incapable de tenir un discours solide en terme de spiritualité, il préfère se réfugier dans une violence haineuse, aussi démonstrative qu'inefficace, avec un premier degré et une virulence sordides.

Apocalypto, sa dernière réalisation en date, raconte la fin de la civilisation Maya. Sa mise en scène, si elle est toujours grossière, laisse néanmoins apparaître quelques morceaux de bravoures, notamment la scène de l'arrivée dans la capitale, qui avec un montage haché au rythme binaire et un découpage de l'espace qui laisse le spectateur sans repère, désorienté, figure bien l'état mental des esclaves apeurés.
La fin, atterrante dans sa signification, nous montre au loin un galion espagnol, on comprend dès lors la finalité d'un tel projet, non plus de raconter le déclin d'une civilisation mais sa décadence. Ce presque Deus Ex Machina est lourd de sens et semblerait presque nous suggérer le caractère divin et naturel de la disparition de cette civilisation "païenne". Quand on connaît la courte et violente histoire commune entre espagnols et mayas, la suggestion est sidérante, mais significative d'une montée du fanatisme religieux, aux Etats-Unis et dans le reste du monde, un obscurantisme qui s'il se réfugie encore derrière ses livres sacrés, semble parfois avoir du mal à en saisir l'essence.